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Le projet expérimental ALADIN

Expériences

Par Pierre Bonnet

Publié en ligne le 29 août 2006

Lancé en 1997, le projet "Aladin" (Allemand A Distance par l'INternet dans l'académie de Poitiers) entre dans le cadre de la mesure 59 du « Nouveau Contrat pour l'Ecole » : il s'agit de proposer à tous les élèves volontaires des lycées professionnels de l'académie de Poitiers de poursuivre l'apprentissage de l'allemand LV2 commencé au collège. Pour certains d'entre eux, il importe d'entretenir et de développer les connaissances acquises, en vue d'une suite d'études en cycle long (première STT d'adaptation) après une réussite au BEP.

Parallèlement, le projet vise à expérimenter et évaluer les ressources d'outils pédagogiques innovants dans le cadre d'un enseignement des langues étrangères à distance.

  • Joël Michelin, Inspecteur de l'Education nationale ;

  • Jean-Louis Durpaire, IPR-IA, chef de la Mission académique aux Technologies nouvelles.

L'activité de conception des contenus et de suivi des groupes d'élèves est assurée par :

  • Pierre Bonnet, professeur d'allemand (lycée de la Venise Verte, Niort), coordonnateur, responsable pédagogique ;

  • Pierre Vaudou et Karine Clavaud, professeurs d'allemand, chargés de l'enseignement à distance et du suivi des groupes d'élèves.

En 1999-2000, le projet s'adressait à 54 élèves répartis en 8 groupes sur 7 établissements de l'académie.

Le "cahier des charges" défini au début de l'expérimentation prévoyait que les outils à mettre en œuvre seraient multiples, et qu'une des finalités du projet consisterait en une étude de leurs potentialités ainsi que de leur complémentarité. Ainsi, dès la première année de l'expérience (1997-98), l'essentiel du travail reposait sur l'utilisation de :

  • la messagerie électronique, premier outil d'échanges ;

  • l'internet, ressource linguistique et documentaire (navigation, exploration de sites en allemand) ;

  • un traitement de texte ;

  • un logiciel ouvert, outil d'individualisation ("Closure", éditions Logédic) ;

  • cédéroms interactifs (documentaires ou ludiques).

Dans un second temps (1998-99), de nouveaux outils furent introduits afin de répondre essentiellement au souci de développer les activités de production orale. Il s'agit de :

  • la visiocommunication, qui permet les échanges "synchrones" entre le professeur et ses élèves et l'entraînement à la production orale ;

  • le logiciel "Tell me More" (éditions Auralog), centré principalement sur les activités orales.

Lancer le projet Aladin, c'était peut-être choisir la difficulté. C'était en effet choisir de s'adresser par l'enseignement à distance à des élèves qui ont bien souvent un besoin évident, parfois même un désir très affirmé de présence. Or, a priori, aucun pré-requis n'était imposé : notre enseignement est fait pour répondre à la demande de tous les élèves volontaires, quel que soit leur niveau initial ou leur "profil scolaire". Bien entendu il nous faut accepter aussi de travailler avec des élèves réputés "difficiles" (ils sont rares mais il s'en trouve) parce que leur attitude repose sur un paradoxe apparent : défiance ou désintérêt vis-à-vis de l'école, mais aussi besoin de contact avec le monde des adultes et d'un accompagnement de tous les instants.

Rappelons aussi ce qui fait l’ambition de notre projet, tant du point de vue pédagogique que technologique : il n’est pas si fréquent qu’on demande plus aux TICE que d’alimenter des séances ponctuelles de remédiation où sont réactivés des schémas analytiques traditionnels. Cette fois, il s’agit de travailler sur des supports authentiques et vivants. Surtout, l’informatique pédagogique, l’internet et la visiocommunication sont ici traités comme supports exclusifs d’un enseignement élaboré hors de toute démarche traditionnelle et de toute référence à des pratiques éprouvées. Plus encore, les technologies nouvelles sont abordées comme l’unique moyen potentiel d’assurer un enseignement parfois relégué au second plan, voire menacé de disparition.

La formule elliptique proposée comme thème de notre journée, volontairement paradoxale dans les termes, peut-elle être traduite par celle-ci : "être présent malgré la distance", ou par la question : "la présence physique devient-elle moins nécessaire grâce aux TICE" ?

A l'inverse, est-il possible de définir l'objectif et la spécificité de l'enseignement à distance sans faire de la référence permanente au « présenciel » une obligation incontournable ?

En fait, même si nos projets n'ont de sens que s'ils s'autorisent à réinventer pour une large part la pédagogie, sans doute ne peuvent-ils être expliqués et compris que par référence à ce qui existait avant eux. Puisque nous en sommes au stade de l'invention pédagogique, et de la découverte, par notre public scolaire, de nouveaux modes de communication, acceptons d'abord, pour mieux nous en libérer ensuite, la comparaison entre les deux concepts : « A distance », et "en présence".

Nous aborderons le problème d'abord sous un angle pragmatique : Quelle réponse nous suggère la pratique quotidienne de l'EAD dans le cadre du projet Aladin ?

Nous l'envisagerons ensuite sous l'angle de la perception des phénomènes de présence et d'absence dans le domaine éducatif.

Les TICE permettent-elles d'abolir la distance qui sépare traditionnellement, dans l'EAD, l'élève de son maître ? Dans l'expérience Aladin, l'enseignant retrouve-t-il une qualité de communication, de "proximité" comparable à celle qu'autorise la présence du maître devant sa classe ? La réponse mérite d'être modulée. Tout d'abord, il faut évidemment distinguer nettement les activités "asynchrones" (l'élève exécute "en différé" la consigne du professeur en utilisant un logiciel ouvert ou la navigation sur l’internet), des activités "synchrones" (séances de visiocommunication).

Certes, des outils tels que le logiciel ouvert autorisent l'individualisation des tâches et des objectifs d'apprentissage à court terme que ne permettent pas les procédés traditionnels d'EAD ni même, en général, l'enseignement présenciel - pour peu que le nombre d'élèves place de fait l'enseignant face à une collectivité (une foule ?) et non à des individus.

Mais il reste que dans ce mode d'échange, le professeur n'identifie les problèmes qu'à travers la production de son élève, et non par la communication et l'observation immédiates. A cet égard, l'un des rôles premiers du professeur semble s'estomper : l'observation permanente, et partant, la prise en charge globale du comportement scolaire du groupe et des individus qui le composent.

Par ailleurs, bien des tâches sont alourdies du fait même du décalage temporel entre la consigne donnée, son exécution, puis l'évaluation de la production. Un fait de langue, notamment, ne se décrit qu'abstraitement dans une telle configuration, quant le geste, le regard et l'exemple improvisé seraient d'une efficacité immédiate. Surtout, le professeur qui "émet" une information (explication, démonstration…) est privé du "retour" du récepteur : le message est-il enregistré, compris, assimilé, sera-t-il transposé, réutilisé spontanément ? Ou bien la formulation employée s'avère-t-elle ambiguë, obscure ? Il faudra parfois patienter une semaine entière pour le savoir…

En somme, il arrive que l'EAD, limité à ce mode d'échange, rende plus évidente que jamais aux yeux du professeur la richesse perdue de la communication directe qu'autorise l'enseignement présenciel !

Les obstacles évoqués dans la première situation sont ici levés en bonne partie : la visiocommunication permet de "lire" bien des choses dans les attitudes, les expressions, les regards - à condition d'utiliser un matériel performant qui autorise une qualité d'image et de son suffisante, même si la confiance mutuelle entre professeur et élève atteint rarement le degré de "connivence" qui permet, en présenciel, de lever bien des doutes ou incertitudes.

Il faut ici rester conscient - sans en faire un obstacle infranchissable - que l'écran de télévision qui sépare les interlocuteurs induit lui aussi un mode de communication qui contient ses propres limites. Il s'agit bien d'une communication "verticale", au sens où on l'entend dans le cas d'un cours où l'autorité du professeur s'impose en permanence. L'élève est placé à la fois devant l'image en gros plan de son professeur, dont le regard suit une direction parfois incertaine, et l'œil infaillible d'une caméra. La "pression" est forte, et il appartient à l'enseignant d'éviter à l'élève le stress ou la perte de confiance qui pourraient en découler.

Les limites posées ici à une authentique "présence à distance" ne nous conduiront certes pas à rejeter les procédés évoqués. Mais elles sont nécessaires à une appréciation objective et honnête des phénomènes induits par notre méthode. Elles doivent être d'abord posées si nous voulons démontrer que la justification et la richesse de notre EAD sont ailleurs.

Faut-il abolir la communication asynchrone ? Ne plus envisager l'EAD que sous l'angle de la visiocommunication ? Cette conclusion ne s'impose pas. Nous l'avons dit, la visiocommunication, outil indispensable d'entraînement à la production orale, implique aussi une relation "frontale" dont il ne faut sans doute pas exagérer la fréquence et la durée.

Quant à la communication "asynchrone", elle est aussi un outil efficace, à condition que sa fonction et ses objectifs soient clairement identifiés et délimités.

Reconnaissons simplement que l'EAD, traditionnellement fondé sur la communication asynchrone, a toujours supposé de la part de l'apprenant un niveau élevé d'autonomie, dont la nécessité est encore plus évidente dans le cadre de l'enseignement individualisé que nous proposons. Or, il serait illusoire d'imaginer que nos élèves de lycées professionnels soient spontanément aptes à faire preuve, en accédant à la classe de seconde, d'une aptitude particulière à gérer leur temps, à rechercher par leurs propres moyens une information manquante, à prendre des initiatives qui dépassent la consigne transmise.

C'est pourquoi l'apprentissage de l'autonomie a été placé, dès le début de notre expérience, au second rang de nos objectifs, presque à égalité avec l'objectif disciplinaire (étudier l'allemand). Ils sont aidés dans cette tâche par un "tuteur" (enseignant ou membre de l'administration de leur lycée), dont le rôle est de les assister sur le plan méthodologique (parfois linguistique), technologique, et de veiller à leur assiduité.

Par ailleurs, reconnaître les spécificités d'un mode d'enseignement, c'est reconnaître aussi sa richesse spécifique - et la mettre en évidence aux yeux de ceux qui en bénéficient : Aladin repose sur l'exploitation de ressources variées, actuelles et vivantes. Surtout, nous avons choisi d'exploiter très régulièrement des situations de communication authentiques : Notre enseignement s’appuie tout naturellement sur une expérience vécue par l’élève, confronté à des documents authentiques. Ceux-ci sont sélectionnés non pas en fonction de leur niveau de difficulté linguistique, mais de leur intérêt intrinsèque.

L’authenticité de la langue abordée doit aller de pair avec une situation de communication elle aussi authentique : nous privilégions, et nous recherchons particulièrement les supports d’apprentissage qui permettent de placer l’élève dans une vraie relation de communication avec le professeur, au lieu de nous cantonner dans un questionnement scolastique artificiel. Ainsi l’élève informe authentiquement le professeur quand il se présente à lui en début d’année, ou quand il choisit lui-même le document qu’il devra décrire. La production de l’élève, écrite ou orale, a pour objectif non pas de reproduire la réponse souhaitée ou imaginée par le questionneur, mais bien d’exploiter au mieux des ressources linguistiques, quelles qu’elles soient, pour énoncer et informer.

Dans ces conditions, nous dirons que l'accès à un degré d'autonomie suffisant autorise aussi l'accès à une qualité des contenus et à une diversité de situations d'apprentissage qui est bien la marque de l'EAD assisté par les technologies nouvelles. Communication et accès à des sources authentiques sont la récompense d'une démarche volontaire et autonome.

L'expression "présence à distance" oppose deux notions apparemment statiques : être là, ou être plus loin… Pourtant, quand l'expérience vécue nous amène à percevoir la présence, l'absence, la distance, l'éloignement ou la proximité, il s'agit bien, le plus souvent, d'un phénomène dynamique : Mon voisin de table est-il "déjà là", "enfin là", "encore là", ou "forcément toujours là"? La présence est-elle distance abolie, future distance, présence préservée, menacée ?

La distance de notre enseignement, elle aussi, peut être diversement appréciée :

  • C'est le meilleur moyen qui ait été trouvé de "mettre à la portée" des élèves un enseignement dont ils étaient privés. C'est donc un rapprochement.

  • C'est pourtant aussi une prise de distance de l'enseignant, traditionnellement si proche de ses élèves.

Diversité des perceptions : pour nous, comme pour les initiateurs du projet Aladin, il s'agit évidemment d'un rapprochement et d'une ressource nouvelle : l'allemand LV2 n'est pas enseigné en présenciel, à de très rares exceptions près, dans les lycées professionnels. Introduire et promouvoir cet enseignement, sans préjuger le nombre de volontaires, suppose un dispositif qui diffère des ressources traditionnelles : les TICE répondent à un besoin non satisfait.

On peut imaginer sans peine que le petit Australien domicilié à quarante kilomètres de l'école la plus proche perçoit de manière tout aussi positive l'opportunité qui lui est offerte désormais de s'instruire "à distance". Grâce à l’internet et la visiocommunication, le savoir vient à lui.

Pour nos élèves, la perception peut être bien différente. C'est que dans notre pays l'école possède l'image, culturellement très forte depuis plus d'un siècle, d'un service public de proximité. L'école est à ma porte, le savoir est déposé là. Et là, il y a quelqu'un. Ajoutons que pour notre public d'adolescents, la distinction entre "formation à distance", "enseignement à distance" et "éducation" ne s'impose pas d'elle-même (faut-il le regretter ?). Chez nous, l'école est reconnue pour sa fonction éducative globale : formation disciplinaire, formation citoyenne. La perception qui s'impose alors est bien celle d'un éloignement : le maître, désormais, n'est plus que sur l'écran - l'écran froid (comme l'absence ?).

Gardons-nous toutefois des généralisations excessives, et admettons au moins deux exceptions à cette attitude :

  • L'élève en conflit avec l'école : "L'école c'est nul, vive l’internet !" Nous nous méfierons cependant de cet engouement ambigu pour les TIC : le refus de l'école n'est guère éloigné du refus de la contrainte, et l'enseignement à distance, même par l’internet, n'a jamais permis d'assimiler une langue étrangère sans effort.

  • L'élève mature, motivé et curieux : celui-ci est capable d'apprécier en adulte la raison d'être du projet qui lui est proposé (Il est capable aussi de l'évaluer !).

Contre-exemple : Le cours présenciel (d'allemand ou d'histoire, peu importe), un matin d'hiver à 8 heures. Un professeur devant son "grand groupe" (la "foule", déjà évoquée). Un élève parmi les autres dort les yeux grand ouverts. Il se laisse oublier, il s'absente à sa manière. Prise de distance dans le cours présenciel ! Quid de la relation directe, de la communication immédiate ?

Aussi, une fois admis les critères spontanément identifiés par notre public pour évaluer nos propres choix, il nous reste - nous l'avons dit - à développer et à rendre incontestable ce qui fait l'intérêt d'un enseignement innovant.

L'EAD n'est pas un substitut à l'enseignement présenciel, encore moins la transposition à distance d'un cours traditionnel. Ses méthodes, sa logique et ses contenus lui sont propres. Mais en tout état de cause, à distance ou présenciel, l'enseignement repose toujours sur un contenu et sur un savoir-faire. Pour nous, il s'agit donc :

  • de mener une recherche permanente de contenus authentiques et vivants - c'est l'intérêt de l’internet ;

  • d'exploiter au mieux les outils logiciels dont la vocation est d'adapter des objectifs d'apprentissage à des profils individuels - savoir aussi concilier l'objectif assigné à un groupe et les besoins particuliers d'un individu ;

  • de donner aux situations de communication authentique la place dominante qu'autorise l'exploitation du réseau planétaire ;

  • enfin d'établir avec nos élèves la relation la plus proche et chaleureuse possible : admettre pour cela les différences notables entre présence physique et présence "sur écran".

Autant de savoir-faire et de qualités qui ne relèvent pas du machinisme. Au-delà de la performance technique, l'enseignement à distance relève de qualités humaines. Le talent pédagogique garde sa place.

Pour citer cet article :  Bonnet Pierre (2001). "Le projet expérimental ALADIN".  Actes des Deuxièmes Rencontres Réseaux Humains / Réseaux Technologiques.  Poitiers,  24 juin 2000.  "Documents, Actes et Rapports pour l'Education", CNDP, p. 63-69.

En ligne : http://edel.univ-poitiers.fr/rhrt/document440.php (consulté le 1/10/2019)

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    Professeur d’allemand, lycée de la Venise Verte, Niort

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