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Par Armando Rocha Trindade , Monique Linard et Jean-Louis Weissberg
Publié en ligne le 29 août 2006
Didier Valdes :
Nous développons depuis quelque temps des systèmes de formation ouverte et à distance et je voudrais revenir sur les trois points importants qu'a développés M. Rocha Trindade. Ces points sont liés à l'institution. Je crois qu'il y a un autre point important qui touche aussi à l'autonomie. C'est le point de vue de l'apprenant. Il faut aussi intégrer la notion de projet. Bien des abandons dans l'enseignement ouvert et à distance viennent du fait que les apprenants n'ont pas forcément de projets identifiés clairement. On en revient à la notion de supermarché. Dans un supermarché, on peut acheter quelque chose sans projet. Dans un système de formation, on doit de toutes façons partir du projet pour qu'il y ait après possibilité de faire de la formation ouverte et à distance. Je souhaitais rajouter ce point.
Armando Rocha Trindade :
Vous avez tout à fait raison. Si j'ai mentionné les trois postulats, c'est parce qu'en ce moment je suis plus inquiet à propos de ce qui se passe pour les institutions que pour les personnes. Il est très clair, comme on a l'habitude de le dire, que tout adulte qui est fortement motivé peut apprendre par lui-même mais s'il n'est pas motivé, ce n'est pas possible. Je peux vous donner un exemple très clair : la première année de fonctionnement de mon université, on s'est chargé de la formation des professeurs en service. La première année, ils avaient été nommés par le Ministère, donc ce n'était pas des volontaires et les résultats n'étaient pas excellents. Il y avait un peu plus de 50% de réussite. L'année d'après, c'était un régime de volontariat et les résultats ont atteints 90%. C'est la différence entre la motivation et l'obligation. Vous avez raison. Je vous remercie de votre remarque.
Georges Rensonnet :
Notre association a pour objectif l'usage des technologies à des fins d'insertion sociale et professionnelle. Ma réflexion est la suivante : nous avons, sous l'impulsion de la Commission Européenne, créé un centre de télétravail pour des travailleurs handicapés physiques. Nous agissons dans le champ des prestations de service, et sommes donc naturellement confrontés à des problèmes de compétitivité, essentiellement des problèmes de compétences et de reconnaissance professionnelle du personnel. Certes, nous faisons appel à des offres de téléformation, et là je rejoins M. Rocha Trindade, mais nous avons énormément de difficultés à trouver dans l'offre de formation des réponses qui correspondent précisément à nos besoins. Nous devons résoudre le problème d'opposition apparente entre l'isolement des formations individualisées à distance, du télétravail dans un espace géographiquement éclaté et une besoin fort de socialisation de ces publics. Mon interrogation porte sur l'existence d'une offre de téléformation qui à la fois consolide l'appartenance à la culture d'entreprise des télétravailleurs (s'il en existe une !), qualifie ou actualise la compétence des salariés, et propose des outils de socialisation donc l'insertion sociale et professionnelle de ces publics à problème de mobilité, de préhension et de communication. Avez-vous des réponses, des avancées dans cette problématique ?
Armando Rocha Trindade :
Je pense qu'il y a déjà des réponses mais les choses ne sont pas très avancées sur ce que j'appelle l'adaptation culturelle des matériaux à l'apprenant ou au profil des apprenants. Il y a des expériences d'importation de produits d'apprentissage qui ont été produits ailleurs, dans un autre pays, qui sont des produits d'excellente qualité et qui pour des raisons d'urgence, d'économie ont été adaptés et utilisés. Cela a été un désastre du point de vue des résultats et du point de vue des coûts. Le montant de l'adaptation pour contextualiser les produits par rapport la population cible peut être très élevé. Par exemple, toutes les références à des personnages historiques dans un contexte anglais n'ont aucun sens pour un français : vous ignorez quel est le nom d'un obscur philosophe écossais qui a vécu au 16° siècle. Cette référence n'a donc aucun sens pour vous. Le degré d'adaptation culturelle peut être très important. Ce n'est pas simplement cela, c'est aussi la façon d'apprendre parce que les matériaux pour qu'ils soient de qualité, il faut qu'ils motivent les gens, qu'ils attirent leur attention, leur empathie et ça c'est très difficile à réussir. Il y a quand même quelques principes dont il faut tenir compte surtout en formation professionnelle. Il y a quelques années, j'ai appelé ces principes "le concept du salami". Le salami, c'est quelque chose que l'on ne peut pas manger à grosses bouchées, il faut le couper en tranches très fines, sinon c'est impossible de l'avaler. Pour la formation professionnelle, il faut que cela puisse s'adapter mieux aux besoins et des entreprises et des usagers, il faut que ce soit des fines tranches de connaissances ou de compétences ou de capacités manuelles ou autres pour que chaque entreprise ou chaque usager puisse choisir et se constituer son menu personnel. C'est simplement une approche un peu pragmatique mais ça ne résout pas le problème de l'exacte adéquation culturelle des matériaux à l'usager et ça, du point de vue des handicapés, c'est extraordinairement important. Merci pour votre remarque.
Jean Sabiron :
Les trois facteurs que mentionne Monique Linard, à savoir la problématique transformée en cas, la confrontation et ensuite la prise de distance ne seraient-ils pas les éléments d'une problématique nouvelle qui serait l'outil intellectuel dont l'apprenant à l'université aurait besoin en initial ? Monique Linard semble écarter le notion de propédeutique, est-ce que ça ne serait pas une nouvelle forme ?
Monique Linard :
Tout à fait, mais alors propédeutique au sens large et noble, pas au sens de la première année par laquelle je suis passée. Oui absolument, ces pédagogies interactives décrites par ces chercheurs sont pratiquées depuis longtemps. C'est Dewey en 1905 qui a commencé à en parler et Dewey est un philosophe américain. C'est un pragmatique américain. Qu'est-ce qu'il a dit ? Piaget l'a répété après, Vygotsky a dit la même chose, Bruner l'a repris et ça fait 80 ans qu'on répète la même chose : il n'y a pas de connaissance sans enracinement dans l'action mais après il faut la dépasser, à condition d'en sortir. Donc les pédagogies conséquentes ont depuis longtemps développé ces trois points. Simplement, je les ai trouvées très bien mises en pratique et développées. Je les ai pratiquées à l'université puisque j'y ai introduit beaucoup de technologie, dans des petits coins privilégiés ; ça marche très bien, tout ce qui est du cognitif confondu. Vraiment, attaquer un problème et je pense à vos publics particuliers, une façon de reconstituer une socialisation de façon tout à fait naturelle, c'est de mettre des petits groupes sur des "petites tranches de salami", sur un petit problème – j'ai toujours fait des micro-tâches : on abordait la sémiologie de l'image, on prenait de tous petits aspects : 5 minutes, 7 minutes avec des groupes de 2 ou 3, ils réalisaient une toute petite chose ensemble. Eh bien le fait d'avoir échangé on line ou en présence, ensemble, il n'y a rien de tel pour créer une socialisation et elle se fait toute seule. C'est-à-dire qu'on a besoin de réussir : pourquoi tu fais ci, pourquoi tu fais ça ? Et donc, le partenariat, la collaboration de départ puis la confrontation des difficultés, des réussites, puis la prise de distance, vous avez une socialisation qui s'en suit naturellement. Je dirais que c'est une problématique du retour aux conditions naturelles, d'une connaissance active ou vue comme une genèse : ça se développe la connaissance, ce n'est pas quelque chose qui se transmet comme un dictionnaire.
Jean-Louis Weissberg :
A propos de ces problèmes de socialisation, un rapport du CNED, il y a quelque temps, avait attiré mon attention, puisque s'agissant de formation à distance, il montrait que les personnes ressentaient le besoin de se voir, de ne pas être séparées, chacun atomisé dans l'espace et se voir pour faire quoi ? Pour apprendre à se servir des technologies de communication, c'est-à-dire pour que les uns aux autres indiquent comment tel aspect de connexion à internet, l'usage d'un logiciel pouvait être résolu. Là, le contenu et la forme de l'apprentissage se mêlaient, se confondaient. Je crois que cette observation avait une valeur beaucoup plus générale, notamment pour des publics d'enfants à l'école ou au lycée. La question de l'apprentissage des technologies numériques est un enjeu culturel majeur où là la forme et le contenu se retrouvent mêlés comme l'ont été d'ailleurs la forme et le contenu pour les apprentissages de base, la lecture, l'écriture et le calcul. Aujourd'hui, l'équivalent de la lecture, de l'écriture et du calcul, c'est la manipulation et la production avec le logiciel hypermédia. C'est un enjeu fondamental maintenant de toute formation, notamment pour la formation à distance.
Pierre Caladine :
Je m'excuse à l'avance de peut-être poser une question naïve dans la mesure où je ne suis pas spécialiste du domaine. Il m'a toujours semblé que la relation pédagogique était une relation entre deux personnes, dans sa construction traditionnelle, c'est-à-dire la relation présencielle que ce soit celle de l'antiquité : un maître avec un ou quelques élèves ou celle du maître dans sa classe ou du professeur dans un amphi. Il me semble que cette relation a deux aspects qui ne peuvent pas être franchis par des moyens technologiques. Un premier qui est la dimension affective, dimension affective qui peut être négative. Tout le monde sait que certains élèves, je ne sais pas si ç'est à l'université à ce niveau-là, en tout cas dans le secondaire, c'est bien connu : certains élèves ont été bloqués en mathématiques, en physique, dans d'autres disciplines parce que tel professeur à un moment donné de leur cursus ne leur a pas plu tout simplement. Cette dimension affective peut aussi avoir des côtés éminemment positifs, à l'inverse, c'est facile à imaginer. Le deuxième aspect est peut-être un peu plus conflictuel, c'est ce que j'appellerais un aspect un peu dialectique, c'est celui de l'échange entre l'enseignant ou la personne qui transmet une connaissance sous une certaine forme, une forme pas seulement syntaxique, langagière, mais aussi avec des gestes, quelqu'un qui reçoit cette connaissance, qui la perçoit d'une certaine façon qui n'est pas exactement celle qui a été donnée et puis éventuellement si le contexte le permet un jeu de questions, de dialogue. C'est assez dialectique. Je pense que c'est essentiel dans l'acquisition de connaissances, au sens profond du terme, et je ne vois pas très bien comment ça peut passer par les médias d'aujourd'hui.
Armando Rocha Trindade :
Il ne faut pas qu'il y ait de malentendu. L'enseignement à distance ne constitue pas un mécanisme de substitution par rapport à l'enseignement classique en présenciel, mais c'est un mécanisme d'adjonction. Il y a des jeunes qui m'ont posé la question : votre université est très intéressante, elle est ouverte, etc., qu'est-ce que vous nous conseillez ? Je leur ai répondu : si vous avez la possibilité de fréquenter une université présencielle, allez-y . Celle-ci est faite pour des gens qui n'ont pas la possibilité de venir dans une université présencielle. C'est là que les filles rencontrent les garçons, que les garçons rencontrent les filles, qu'il y a toute une vie académique, associative, affective. C'est très important pour la maturation d'un jeune adulte. Pour les plus jeunes, il y a un rôle qui est irremplaçable c'est celui de l'instituteur et du professeur, c'est le rôle de facilitateur de la socialisation. Et ça c'est un rôle qui est humain, affectif, il y a la chaleur humaine qui manque ; il ne faut pas l'oublier. Tous les mécanismes d'enseignement à distance sont des mécanismes d'adjonction, de facilitation et non pas des mécanismes de substitution. De même quand on parle et on a peut-être un peu trop parlé ici de logiciels, d'ordinateurs et d'internet, ce sont des outils et rien que des outils. Ils ne se substituent pas aux livres, aux vidéogrammes, à la vidéocassette, à l'enregistrement audio. C'est encore un outil qui s'ajoute à ceux qui existent déjà. C'est complètement idiot, pardonnez-moi l'expression, de mettre un livre de 300 pages sur internet à moins qu'on n'ait pas d'autre moyen de le faire parvenir à son destinataire. Personne ne va étudier un livre de 300 pages sur un écran. Tous ces outils sont des mécanismes d'adjonction et non pas des mécanismes de substitution si puissants soient-ils. La présence humaine est précieuse et c'est pourquoi tout ce qui dans l'enseignement à distance peut comporter de l'interaction humaine, c'est une valeur ajoutée et non pas une subversion du travail.
Jean-Louis Weissberg :
Vous avez raison d'insister sur cet aspect dialogique, pas simplement dialogique verbal mais gestuel. Les dix prochaines années verront fleurir des systèmes permettant de prendre en compte à distance ce genre d'échanges par l'image, mais aussi par le geste, par la sensation physique. C'est l'objet d'une partie de mon propos, le fait que la communication à distance se charge précisément de ces caractères incarnés de plus en plus en les transformant à sa façon ; bien sûr c'est un petit peu futuriste encore que avec les Webcam on a déjà l'image directionnelle communément sur le réseau et ceci va être renforcé évidemment.
Monique Linard :
Je terminerai en disant que ce qu'on découvre avec ce passage du siècle, c'est que la pédagogie ne peut plus être uniquement duelle. Elle devient à trois, au moins à trois et toutes les pédagogies interactives réintroduisent le pair, le compagnon d'à côté comme tiers et l'objet technique comme autre tiers et donc le dialogue maintenant à la fois va conserver sa dimension affective mais on y échappe beaucoup lorsqu'on ne travaille pas seulement en face à face mais avec une triangulation, avec une médiation à côté. Je crois que les outils ont tout leur rôle à jouer aussi.
Pour citer cet article : Trindade Armando Rocha, Linard Monique et Weissberg Jean-Louis (2001). "Débat - Outils de communication et présence humaine". Actes des Deuxièmes Rencontres Réseaux Humains / Réseaux Technologiques. Poitiers, 24 juin 2000. "Documents, Actes et Rapports pour l'Education", CNDP, p. 51-55.
En ligne : http://edel.univ-poitiers.fr/rhrt/document433.php
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n° 2
Outils :
Monique Linard
Professeur des universités.
Armando Rocha Trindade
Universidade Aberta (Portugal), Président émérite, ICDE.
Jean-Louis Weissberg
Maître de conférences, Université Paris 13.
A voir sur UPtv
Vidéo de la table ronde "Outils de communication et présence humaine" : Durée 1 h 24 min.
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