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Par Armando Rocha Trinidade
Publié en ligne le 29 août 2006
Sommaire
Etant les plus anciennes au monde, les universités européennes ont eu le temps, au long des siècles, de bien définir leurs objectifs, leurs méthodes et leurs pratiques et aussi bien de cristalliser leurs traditions. Conçue pour former des élites dirigeantes, que ce soit pour alimenter en cadres la Haute Administration, l'Industrie et la Finance ou les Forces Armées, l'Eglise et l'Université elle-même, l'institution universitaire en est venue, beaucoup plus récemment, à assurer aussi l'objectif stratégique de faire de la recherche et de promouvoir l'avancement de la science et de la connaissance en général. Pour de nombreuses raisons, cette nouvelle vocation n'était pas considérée moins noble que l'activité d'enseignement, et l'idée sous-jacente d'être réservée à une élite était (et elle l'est toujours) omniprésente.
De ce point de vue, l'Université n'a pas été bâtie comme une structure démocratique mais plutôt comme une stricte hiérarchie où la pyramide des enseignants (du professeur titulaire de chaire aux plus humbles assistants) surmontait la base de la population étudiante, celle-ci étant séparée en deux couches : les "bons étudiants" qui seraient un jour les "élus" pour accéder au diplôme et à un avenir prometteur, et les "mauvais" qui seraient en temps prévu rejetés par le système.
La relation professeur/étudiant était plus manifeste au plan collectif qu'individuel, et elle était, généralement, très asymétrique et très lointaine. L'amphithéâtre, fréquemment énorme et surpeuplé, organisé autour et focalisant vers la chaire de l'enseignant, était le symbole parfait de cette distance. La qualité pédagogique des cours enseignés était, très souvent, une préoccupation presque absente dans la culture universitaire classique : la qualité d'un enseignant était plutôt jugée sur ses dons en tant qu'orateur et son charisme personnel que sur la bonne organisation de son plan didactique et l'efficacité de son discours éducationnel.
La création de nouveaux établissements d'enseignement supérieur dans les années 60 et 70 de ce siècle, un peu partout en Europe, a peu changé cet état de choses. Le rapport du nombre d'étudiants par enseignant est un peu plus favorable, les salles de cours ont une dimension moins gigantesque, l'attitude de "mandarinat" est un peu moins affirmée, mais pas de substantiel changement dans la culture universitaire générique.
C'est beaucoup plus récemment que les objectifs de l'enseignement supérieur ont commencé à évoluer : d'une part, par la reconnaissance de la valeur stratégique nationale qu'un fort pourcentage d'une classe d'âge acquiert une qualification supérieure ; d'autre part, par l'acquis social d'assurer l'accès à ce niveau d'enseignement pour tous les candidats dûment qualifiés qui se présenteraient à cette fin. En conséquence, l'enseignement supérieur devra, à court terme, devenir un enseignement de masse, au lieu d'être réservé, comme auparavant, à la formation d'élites. Ceci doit être fait, dans tous les cas, sans sacrifier la qualité des qualifications offertes par l'intermédiaire de l'enseignement supérieur. Et pourtant, nous avons déjà des raisons de préoccupation à cet égard. En effet, si nous regardons l'évolution sociale, culturelle, politique et technologique dans les sociétés les plus développées, nous pouvons suspecter que peut-être les profils de qualification offerts par nos systèmes d'enseignement supérieur ne sont pas tellement différents (à l'exception près des cours purement technologiques) de ceux qui étaient la norme il y a cinquante ans. La question devra se poser quant à la pertinence d'un certain nombre de profils actuels de formation universitaire.
D'autre part, il est opportun aussi de s'interroger sur la productivité globale du système d'enseignement supérieur. Dans plusieurs pays, non seulement le taux d'obtention des diplômes par discipline est souvent situé en moyenne au-dessous de 75%, comme le taux de rejetés par le système peut atteindre 30% ou plus ; comme encore la durée moyenne du "séjour" des étudiants, de leur entrée en Faculté à leur sortie avec un diplôme sous le bras, peut atteindre 40% de plus que la durée prévue, deux ans, quatre ans, selon les cas. Ceci laisse penser que l'augmentation de la productivité de ces systèmes est au moins aussi importante que la garantie de qualité des profils professionnels à la sortie. Finalement, la conscience croissante de la nécessité d'offrir, en plus des opportunités de formation continue à tous niveaux de connaissances et des profils professionnels a introduit un nouveau et lourd fardeau quantitatif pour les universités de ce nouveau millénaire.
Nous considérons que la situation de l'enseignement supérieur est près d'atteindre une situation de vraie crise, dont la gravité varie suivant les pays et les régions du monde. Pour ce qui est des pays développés où ce niveau d'études a une forte composante de secteur public, avec un financement significatif de la part de l'État, il se trouve que les budgets correspondants disponibles montrent une tendance à la stagnation, voire au rétrécissement, en dépit de la poussée continue de la demande d'accès, dans le sens de la croissance régulière du nombre de candidats. Les gouvernements tendent à pousser les universités vers une augmentation de leur capacité d'accueil, sans que des accroissements budgétaires soient pour autant considérés ; ou bien lancent un défi à ces institutions afin qu'elles trouvent de nouvelles sources de financement.
Le problème se présente autrement dans les pays développés où le secteur privé de l'enseignement supérieur est dominant. La crise dans ce cas prend la forme d'une compétition féroce sur le terrain du recrutement de nouveaux étudiants : les institutions les plus prestigieuses augmentent le montant de leurs droits d'inscription pour parer à l'excès de la demande et celles qui le sont moins sont forcées de baisser les leurs, pour ne pas voir réduit leur volume de population en deçà du seuil critique de viabilité de l'institution. Dans les régions les moins développées du monde, le besoin d'une croissance visible du nombre de citoyens possédant des qualifications supérieures est compromis par les faibles effectifs de la scolarité secondaire, voire du niveau primaire. En plus, les ressources nécessaires pour l'épanouissement du système éducatif sont probablement, dans la plupart des cas, très au-dessus des disponibilités nationales.
Pour ce qui est de l'assurance de qualité de l'enseignement acquis au sein des systèmes d'enseignement supérieur, il est à noter que des efforts considérables doivent être consacrés à cet objectif. Dans ce domaine, nous croyons à l'effet nécessairement positif des mécanismes d'évaluation des universités qui sont maintenant en place dans un certain nombre de pays.
La massification de l'enseignement supérieur a déjà trouvé, depuis un certain temps, des réponses spécifiques, situées en dehors du système classique d'universités et d'instituts universitaires et du paradigme courant basé sur l'enseignement en classe. Il s'agit du concept d'éducation dite à distance, dont la vocation est spécifiquement l'enseignement de masse.
Faisant appel à la capacité des adultes d'apprendre par eux-mêmes - pourvu que des matériaux d'apprentissage de haute qualité soient mis à leur disposition, que des communications rapides et efficaces assurent la distribution de ces matériaux, aussi bien que les informations et documents de nature administrative et qu'un système de support à l'apprentissage soit accessible aux étudiants qui pourraient en avoir besoin - les systèmes d'éducation à distance au niveau des études supérieures, couramment appelées Universités Ouvertes, ont déjà donné des preuves visibles de qualité et d'efficacité. La création de l'Open University britannique en 1969, suivie de près par de nombreuses autres sous un format semblable, dans plusieurs pays du monde, a démontré la validité de ce type d'organisation1.
Le terme de "matériaux d'apprentissage de haute qualité" nécessite quelques observations. Cette haute qualité ne s'applique pas seulement au niveau scientifique des contenus, mais surtout à leurs qualités du point de vue pédagogique et didactique. En tenant compte du fait que l'apprentissage de ces contenus aura lieu sans le support régulier d'un enseignant et sans l'appui de collègues du même cours, il faut qu'il y ait une bonne stratégie pédagogique sous-jacente, un choix adéquat du support et du médium à utiliser, une didactique aussi perfectionnée que possible, tout cela pour faciliter l'auto-apprentissage. Ceci est en général vérifié dans les Universités Ouvertes qui, en général, développent une activité considérable de recherche sur les modèles théoriques, les méthodes et des études sur le terrain concernant ce régime d'apprentissage2.
Parallèlement à ce modèle de système complet et intégré (single-mode, dans la littérature anglo-saxonne), une solution alternative d'adoption des méthodes d'enseignement à distance a été essayée avec succès par nombre d'universités conventionnelles : sans pour autant abandonner le régime classique d'enseignement en classe pour les étudiants "réguliers", d'autres cours et programmes sont ouverts, suivant les méthodes d'enseignement à distance, à l'intention des étudiants résidant loin des noyaux universitaires ou empêchés d'y accéder pour des raisons de travail, familiales ou autres.
Ces "dual-mode systems" existent un peu partout en Europe (notamment en France) 3 et dans plusieurs autres régions du monde. Etant donné que l'investissement initial est beaucoup moins lourd pour l'application de ce modèle à une institution universitaire classique déjà en fonctionnement que la création complète d'une université ouverte, cette solution-là s'est avérée très fréquente dans les dernières décennies et nous pensons que cela continuera à se produire. Pour l'ensemble des deux modèles, il est estimé que plusieurs millions d'étudiants suivent des cours en régime d'apprentissage à distance, dans l'ensemble des pays de l'Europe Occidentale, Centrale et de l'Est. Au niveau mondial, ces chiffres doivent atteindre quelques dizaines de millions.
Le développement des nouvelles Technologies d'Information et de Communication (TIC) a introduit de nouveaux paramètres de liberté dans la mise en œuvre de systèmes en régime d'enseignement à distance. La possibilité de distribuer des textes et d'autres informations bibliographiques par la voie de l'internet, l'usage didactique de matériaux d'apprentissages interactifs, le recours au courrier électronique et à la conférence sur ordinateur pour des communications avec les étudiants à des fins d'appui scientifique, pédagogique ou administratif, la possibilité de faire participer des groupes d'étudiants à des conférences et des séminaires, avec un certain degré d'interactivité, par le truchement de la vidéoconférence, l'opportunité de la création de "chat groups" entre les étudiants eux-mêmes sont quelques-unes des facilités dont les usagers de ces systèmes peuvent bénéficier.
Cet usage intensif et généralisé des technologies avancées en régime d'éducation à distance a conduit au concept d'environnement virtuel d'apprentissage et d'université virtuelle, dont plusieurs exemples d'initiatives existent en divers pays du monde4. Le mot "virtuel" n'est pas plus adéquat que l'expression consacrée "éducation à distance", quoiqu'il possède, il faut le reconnaître, un certain charme évocateur de nouveauté et de sophistication technologique, ce qui justifie son usage de plus en plus fréquent.
Le concept et les fondements pédagogiques de l'apprentissage à distance ne font pas l'unanimité tant dans l'opinion publique en général que dans le corps des enseignants en particulier. Pour ce qui est de la première, qui peut être définie comme une espèce de moyenne des sentiments diffus de la population en général, il y a une sorte de méfiance à l'égard de pratiques tout à fait contraires à l'expérience commune de l'ambiance d'apprentissage de la majorité des gens : sans école, sans salle de cours, sans professeur, sans horaires, comment peut-on espérer qu'il en résulte un apprentissage valable et de qualité ?
Il est certain, d'autre part, que l'opinion publique tend à être essentiellement conservatrice, à vouloir garder ses habitudes les plus enracinées et à rejeter des innovations dont le degré de complexité conceptuelle, organisatrice et technique empêche une compréhension immédiate de tous ses aspects. Et pourtant, dans des pays où l'enseignement à distance a déjà une tradition de quelques décennies, ces systèmes d'enseignement jouissent, par contre, d'une opinion essentiellement favorable. Les rapports des systèmes nationaux d'évaluation universitaire5 (là où ils peuvent exister) ont été très favorables aux institutions d'enseignement à distance soumises à cet examen.
La question de la position des enseignants à ce même égard est un peu plus complexe et délicate, car elle intègre des raisons d'ordre culturel, professionnel et technique. En prenant une métaphore de nos temps récents, l'enseignement à distance suscite autant d'opinions et d'attitudes contradictoires que l'usage d'ordinateurs dans les écoles a soulevé : il ne s'agit pas d'un sujet neutre, il y a des enthousiastes et des opposants véhéments, les technophiles et les technophobes. Si, d'une part, la dernière attitude peut être le résultat d'un certain manque de confiance à l'égard d'une technologie que l'on ne domine pas, il est peut-être pensable que puisse y être sous-jacent ce qu'on peut appeler le "syndrome de Frankenstein", c'est-à-dire la peur du créateur à l'égard de la créature artificielle qui peut, finalement, le tuer. La métaphore n'est pas si lointaine qu'elle le semble à première vue : l'enseignant générique se considère souvent le pivot et le pilier de tout acte d'apprentissage et la simple idée qu'il puisse perdre ce rôle d'acteur et d'intervenant direct lui est essentiellement déplaisante.
Une attitude négative de la part des enseignants envers les méthodes d'enseignement à distance est, d'autre part, due à une connaissance insuffisante du sujet. Il en résulte des idées fausses et des préjugés qu'il faudrait, quand même, essayer de corriger. Une question majeure est le faux problème de la prétendue application des ces méthodes à des populations d'enfants et de très jeunes gens. En fait, cette application est déconseillée, sauf dans des cas exceptionnels de populations d'élèves dans des petites communautés isolées et difficilement accessibles, où il est presque impossible de garantir la présence d'un professeur6.
Autrement, et sans mettre en cause la capacité, souvent sous-estimée, des très jeunes gens à apprendre par eux-mêmes (pourvu que la motivation y soit présente), il est clair que la présence et l'action du professeur ne sont pas à même d'être remplacées par n'importe quelle méthode ou technologie : le rôle de l'adulte dans la socialisation de l'enfant est absolument irremplaçable.
Un deuxième point critique à discuter est celui du pouvoir de l'enseignant dans la salle de classe, en termes de responsabilité sur les contenus enseignés et sur la pédagogie et la didactique appliquées dans ses cours. Il est clair que, dans le régime d'enseignement à distance, les matériaux d'apprentissage et la stratégie pédagogique sous-jacente sont conçus et élaborés au préalable, bien en amont du moment où l'étudiant commence à étudier. Le rôle de l'enseignant, dans ces conditions, devient soit celui d'auteur de ces contenus, soit de consultant en matière pédagogique, soit de tuteur dans les actions de support de l'apprentissage et non plus celui du professeur classique7.
Au niveau de l'enseignement supérieur, vu la tradition d'autonomie presque absolue des professeurs d'université, ce genre de contraintes et de modifications de responsabilités peut apparaître comme très indésirable, voire choquant.
Finalement, il est fréquent que des doutes se manifestent sur la validité d'examens réalisés in absentia, sans le contrôle du professeur sur le travail de l'étudiant. Là encore, il s'agit d'un faux problème, car la pratique de faire passer des examens en présence d'un jury et dans une ambiance tout à fait contrôlée est courante pour les systèmes formels d'éducation à distance. Quoi qu'il en soit, nous pensons que la plupart des préjugés à l'égard de l'enseignement à distance sont surtout dus au manque d'information suffisante sur un sujet qui est, sans aucun doute, techniquement complexe.
Il y a, néanmoins, d'autres questions très sérieuses à considérer lorsque l'on met en comparaison les deux paradigmes d'apprentissage, en classe et à distance, du point de vue de leurs avantages et inconvénients respectifs. Il y a des matières dont l'acquisition de la maîtrise, aussi bien que les modalités de cette acquisition impliquent, soit le contact interpersonnel dans un environnement bien précis, soit la manipulation d'instruments et d'équipements spécialisés. La partie expérimentale de l'apprentissage de la Physique, la Chimie et la Biologie, la pratique clinique de la Médecine, la composante appliquée de la Psychologie, etc., sont des exemples évidents de ces situations. Elles ne peuvent pas être reproduites de manière parfaite (du moins pour le moment) par des simulations sur ordinateur, d'où le besoin de prévoir, parallèlement au régime d'auto-apprentissage, le nombre nécessaire de séances présencielles capables de faire acquérir ces types de connaissances et de compétences.
Il y a, d'autre part, des profils cognitifs qui ne sont pas tout à fait adéquats au régime d'auto-apprentissage : en raison d'un manque de confiance en soi, d'une difficulté chronique d'organisation du travail individuel, de vraie incapacité d'étudier en situation d'isolement. Pour ce genre de profils, il devient absolument indispensable de prévoir des mécanismes d'accompagnement individuel de ces étudiants, de préférence en leur offrant l'opportunité de rencontres en vis-à-vis, régulièrement, avec des tuteurs.
L'expérience montre que la majeure partie des étudiants ne ressent pas ce besoin de façon aussi aiguë, même s'ils peuvent valoriser des opportunités de rencontre occasionnelle avec le personnel enseignant. Cependant, la majeure partie des systèmes d'éducation à distance a mis sur pied une variété de solutions visant l'accompagnement de tous et de chacun de leurs étudiants, par l'intermédiaire du téléphone, du fax, de la poste et du courrier électronique, en vue de permettre la réponse à des doutes à caractère scientifique ou pédagogique, à des questions d'information générale ou administrative et à envoyer et recevoir des tests et d'autres tâches didactiques proposées aux étudiants. L'installation d'un réseau régional de Centres d'Appui où des rencontres présencielles puissent avoir lieu est aussi une solution très courante.
Tout compte fait, il apparaît que la question de la présence ou de l'absence de l'étudiant dans les lieux classiques où l'enseignement en classe a traditionnellement eu lieu n'est pas une question à réponse simple et directe. On pourrait ajouter que la relation interpersonnelle est toujours potentiellement enrichissante et désirable, mais il faut trouver des solutions pour des situations où des raisons de force majeure empêchent qu'elle puisse être parfaitement garantie.
L'adoption massive des TIC par nombre de systèmes d'éducation à distance permet d'améliorer la situation d'isolement relatif des étudiants dans ce régime d'apprentissage. En voici quelques exemples :
Le courrier électronique permet l'interaction entre l'étudiant et l'enseignant de manière beaucoup plus rapide que le courrier postal et beaucoup moins cher que le fax ou le téléphone. L'interaction, étant asynchrone, ne pose pas le problème de coïncidence nécessaire d'horaire entre les deux points de cette communication. De plus, même si la question posée résulte de l'initiative individuelle d'un étudiant donné, il est possible que la réponse à fournir puisse être utile au collectif de ses collègues. Le texte correspondant peut être adressé à une liste de diffusion aussi longue que nécessaire et envoyé à tous les destinataires d'un seul coup, sans surcharge de temps pour l'enseignant.
La vidéoconférence paraissait, à première vue, être la réponse de choix à la situation de séparation physique entre étudiants et enseignants. Le mode étant essentiellement synchrone, il est possible d'établir un dialogue entre le professeur et les éléments de la classe, quelle que soit la distance entre eux. Ceci est vrai en théorie, mais seulement pour des petits nombres d'usagers de ce genre de facilité qui est toujours, malheureusement, assez chère et dont les équipements nécessaires n'existent que dans des endroits précis et peu nombreux. Si l'utilisation de la vidéoconférence est efficace entre un enseignant et une vingtaine d'étudiants, toute possibilité de vraie interaction est compromise lorsqu'il y a une centaine d'étudiants et plusieurs "classes virtuelles" opérant en simultané. L'usage de la vidéoconférence garde son très haut potentiel, soit pour le travail enseignant avec des petits groupes8, soit pour faire parvenir à un grand nombre d'étudiants le message (malheureusement unilatéral) d'un personnalité, dans une occasion très spéciale.
L'accès à la bibliographie proposée aux étudiants d'une certaine discipline pose des problèmes majeurs en régime d'apprentissage à distance. Si l'on se situe dans le cas d'une population d'étudiants éloignés des grands centres urbains et des villes universitaires, nous ne pouvons pas postuler que les ouvrages cités soient disponibles dans n'importe quelle petite bibliothèque municipale. Donc, soit le nombre de références de lecture obligatoire est suffisamment limité pour justifier l'achat des ouvrages par l'étudiant, soit l'institution enseignante fournit ces livres directement à chaque usager.
L'accès des étudiants à un réseau informatique peut permettre de résoudre ce problème, pourvu que certaines précautions soient prises. D'abord, que les ouvrages à consulter puissent être accessibles, lus et, s'il le faut, imprimés, par les étudiants. Or, il est clair que, en général, la majeure partie des textes scientifiques que l'on souhaiterait consulter n'est pas disponible sur l'internet, étant couverts par le copyright des éditeurs des livres et revues où ces textes ont été publiés.
La solution la plus intéressante est la constitution, par l'institution enseignante, d'une bibliothèque électronique, par l'intermédiaire d'un réseau informatique local, où tous les ouvrages cités dans les bibliographies puissent être accessibles par des personnes dûment identifiées. Ceci implique, évidemment, le payement de royalties à tous les éditeurs dont les ouvrages sont inclus dans cette bibliothèque, ce qui pose quelques problèmes d'organisation et, bien sûr, une certaine charge financière9. Malheureusement, cette solution n'est pas encore suffisamment adoptée partout et on peut trouver des cas un peu ridicules de cours, soi-disant on-line, où seulement les références bibliographiques sont fournies, mais sans que des mécanismes d'accès aux contenus correspondants, par les étudiants, aient été en quelque sorte prévus.
Les textes de cours fournis aux étudiants posent aussi un certain nombre de problèmes, surtout dans les cas où une nouvelle institution, sans expérience préalable des méthodes et des pratiques d'enseignement à distance, décide de se présenter comme opérateur sur ce terrain.
L'erreur la plus commune consiste à mettre on-line des textes scientifiques qui n'ont pas été soumis, au préalable, à un traitement destiné à en faciliter l'étude en régime d'auto-apprentissage. L'absence de résumés et d'explicitation des objectifs de la matière et du chapitre, le manque d'activités proposées et d'exercices permettant l'auto-évaluation des progrès, le langage souvent hermétique et sans l'appui de glossaires et de listes de définitions sont des indicateurs d'une certaine légèreté pédagogique qui n'est pas adéquate aux méthodes d'apprentissage à distance. Dans la plupart des cas, ce genre de déviation par rapport à ce qui est considéré comme la bonne pratique en éducation à distance est le résultat d'un certain degré de méconnaissance ou de négligence à l'égard des règles correspondantes. Les institutions d'enseignement présenciel qui veulent devenir des nouveaux opérateurs dans ce domaine, en dépit ou peut-être à cause de leur très longue expérience d'enseignement en classe, tendent à sous-estimer ces règles et à ignorer les précautions qui permettent de distinguer la bonne de la mauvaise pratique en enseignement à distance.
Ayant déjà reconnu les limites et les quelques désavantages de l'enseignement à distance par rapport à l'enseignement en classe de type classique, et vice-versa, il est temps de regarder un peu vers l'avenir de l'enseignement et de l'apprentissage, tel que nous le concevons.
D'une part, il est à peu près évident que les nouvelles générations d'enfants et de jeunes gens dans les pays développés diffèrent de celles de leurs parents par le contact très précoce des premières avec les nouvelles technologies de communication et d'information, même si c'est par l'intermédiaire des jeux électroniques sur machines à jeux, Gameboy ou ordinateur. Nombre d'entre eux sont aussi familiers des cédéroms et d'internet. Leur approche de ces activités est différente de celle usuellement pratiquée par les adultes : le recours à la pratique intensive, plutôt qu'à un apprentissage préalable, l'expérimentation répétée et l'itération, plutôt que l'étude du livre d'instructions, l'exploration exhaustive de toutes les possibilités du software qu'ils utilisent. Souvent, l'intuition spatio-temporelle joue un rôle plus visible que le raisonnement ordonné et systématique.
Nous pouvons espérer que ces nouvelles générations auront un degré d'autonomie dans l'apprentissage beaucoup plus développé qu'il l'était dans les générations précédentes. La créativité, l'exploration, la découverte et l'innovation joueront un rôle plus important que la mémorisation de textes, la prise de notes pendant la classe, l'acceptation disciplinée d'une seule approche d'un problème donné. Il est impensable, d'autre part, que le travail sur ordinateur et la recherche sur le réseau puissent jouir, dans l'école tournée vers l'avenir, un rôle mineur par rapport à la leçon classique délivrée par le professeur. Ceci veut dire que, même à l'intérieur d'une école tout à fait conventionnelle, l'étudiant aura un degré d'autonomie accru ; le rôle du professeur sera moins celui de source de la connaissance et plutôt celui d'un médiateur de l'accès à l'information disponible et qu'une partie importante de l'enseignement deviendra, plutôt, auto-apprentissage. Cette convergence très souhaitable entre le paradigme d'enseignement en classe et celui de l'apprentissage à distance aura des conséquences (déjà visibles en quelques cas de figure, en Europe et ailleurs) au niveau de l'enseignement universitaire. Ceci correspond à un raffinement du modèle désigné par "dual-mode" évoluant vers un modèle de "mode mixte" où les points forts et les avantages du cours classique et de l'auto-apprentissage peuvent converger dans l'univers de chacun des étudiants10.
Une des solutions déjà en cours consiste à offrir, aux étudiants couramment inscrits dans un certain programme d'études, l'alternative d'apprentissage à distance pour un nombre de disciplines curriculaires, également enseignées en classe. Pour d'autres disciplines, il serait obligatoire de fréquenter une partie de la matière en régime classique, répondant aux exigences de la composante de travail expérimental ; mais pour la partie complémentaire, de nature plutôt théorique, il y aurait la possibilité qu'elle soit apprise soit en classe soit à distance11. Ceci serait le régime applicable aux étudiants "ordinaires" ayant la possibilité de se déplacer régulièrement à l'université ; le régime pur d'enseignement à distance à proprement parler serait nécessairement appliqué aux étudiants ne jouissant pas de cette possibilité.
Nous pensons que les avantages du mode mixte, en termes d'augmentation de la capacité des universités, de l'introduction d'une plus grande liberté dans les choix des approches pédagogiques différenciées offertes aux étudiants, d'une plus grande compatibilité entre les possibilités offertes par les nouvelles technologies et une autonomie accrue de l'étudiant, en tant que citoyen adulte et responsable sont suffisantes pour garantir le succès de ce modèle d'apprentissage dans les années à venir.
Pour citer cet article : Rocha Trinidade Armando (2001). "Enseigner en présentiel et à distance". Actes des Deuxièmes Rencontres Réseaux Humains / Réseaux Technologiques. Poitiers, 24 juin 2000. "Documents, Actes et Rapports pour l'Education", CNDP, p. 19-30.
En ligne : http://edel.univ-poitiers.fr/rhrt/document425.php (consulté le 1/10/2019)
Notes
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