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Par Geneviève Jacquinot-Delaunay
Publié en ligne le 29 août 2006
Au terme de cette rencontre « Présence à distance », je voudrais évoquer un souvenir, à la fois les cours du Professeur Etiemble, grand sinologue, pendant lesquels il n'était évidemment pas question de poser des questions et, d’un autre côté, mes premiers pas de jeune universitaire à l’université de Paris 8 - Vincennes à l’époque - lors de sa création, où j'ai vécu « le grand bouleversement des événements de mai 68 »qui, dans l'université de l'époque, a signifié, la remise en question du statut du savoir, des manuels et des enseignants, l’autoritarisme du tutoiement, la co-élaboration des savoirs. Cette opposition d'expériences m'a toujours beaucoup servie, chaque fois que j'ai essayé de réfléchir sur cette modalité particulière d’enseignement qu’est le face à face, l’enseignement magistral remis en question globalement à l’époque, et depuis, opposé assez binairement à « l’interactivité » grâce à la machine, supposée être l’occasion d’une véritable interaction mentale.
Or, s’il y a un endroit où j'ai appris à penser, je crois, c'est lorsque j'écoutais les exposés « hyper magistraux » du Pr. Etiemble. Simplement parce que durant ces exposés - on dit toujours exposés « magistraux » mais ça c'est une modalité d'énonciation, et tout dépend de ce que l'on dit ! - le Pr. Etiemble pensait tout haut. Quelqu'un qui pense tout haut vous aide à penser. L’interaction mentale était maximale, certes à condition d’accepter et/ou de pouvoir « entrer dans le discours » dans une situation magistralement non-interactive au sens où on l'entend maintenant. En revanche, je n’ai pas toujours vu étudiants et enseignants avancer, lorsque, sous prétexte de liberté, le débat d’opinions toujours « prédéterminées » servait de substitut à la transmission d’un savoir.
Simple expérience personnelle, me direz-vous, qui n’a pas valeur de démonstration, c’est vrai, mais qui m'a toujours permis de prendre garde à la complexité des phénomènes de relations entre les réseaux humains, dans les situations d’apprentissage et à me méfier des solutions qui arriveraient… par la technologie, quelle qu’elle soit.
Dans ce qui va suivre, je voudrais en un premier temps me situer plus précisément et donner quelques exemples des opérations dans lesquelles je suis engagée. Puis, reprendre un certain nombre de points évoqués dans les ateliers et lors des différentes interventions tout en essayant - comme cela a été demandé - de les recadrer par rapport à la thématique proposée, à savoir l’intrication réseaux technologiques/réseaux humains au service des actions de formation. Je fais partie de cette corporation dont Armando Trindade a dit qu'elle était « mal vue » à l'université puisque je suis professeur en sciences de l'éducation. C'est vrai qu'elle est mal vue, mais il y a heureusement des exceptions. Je travaille à l'heure actuelle avec un réseau de scientifiques qui se sont engagés dans une « université en ligne » : une vingtaine d’universités participent à un dispositif de formation au niveau du 1er cycle (Deug) dans les quatre disciplines fondamentales : mathématique, physique, chimie, biologie, et ces collègues nous demandent de les aider, indépendamment des problèmes de contenus disciplinaires - pour lesquels je n’ai aucune compétence - pour observer, voire guider les évolutions qu’entraînent, malgré tout, et parfois malgré les freins très forts des habitudes, l’intégration, dans une partie de l’enseignement universitaire, d’un dispositif reposant sur l’utilisation même partielle, de ressources pédagogiques en ligne :infrastructure, emplois du temps, guidage-autonomisation des étudiants, changement et diversification du rôle de l’enseignant, apparition d’acteurs intermédiaires, etc., etc., à partir du moment où l’on rompt, même partiellement, la situation canonique du groupe d’apprenants ensemble, dans un même lieu, en un même temps, avec « leur » enseignant.
La deuxième nouveauté, souvent mal vécue, dans cette intrication des réseaux humains et technologiques, c'est le partenariat avec les entreprises. Il y a toujours des représentations stéréotypées qui perdurent, à savoir que, pour les entreprises les universités ne sont jamais très bien ancrées sur les « réalités du terrain », et pour les universitaires l'entreprise, c'est de l'argent, ce sont des choses assez difficilement compatibles avec les exigences du service public. C’est vrai, ce n’est pas si simple… Les différentes tentatives d’instauration de modalités de formation à distance, via les TICE peuvent offrir, sous certaines conditions bien sûr, l’occasion d’explorer la voie étroite d’une « tendance vers l’industrialisation » dans l’éducation et la formation, sans tomber dans le modèle de la « privatisation » mais en cherchant à répondre aux conditions nouvelles d’une contribution au bien public.
Exemple : à la suite d’un partenariat avec France Télécom Education, j’ai pu bénéficier, au cours de cette année, de la mise à disposition (car le coût est élevé) d’une « plate-forme d'enseignement à distance », c’est-à-dire d’un logiciel permettant d’organiser les différentes tâches et fonctions requises pour que des apprenants apprennent avec des enseignants à travers des réseaux technologiques, (Webtutor pour ne pas la nommer). Outre que cette expérience nous a permis de mesurer la marge de manœuvre « étroite » entre le respect de notre projet pédagogique (il s’agit d’un DESS), et les contraintes de celui, implicite, qu’implique la plate-forme technologique, cela nous a permis de nous préparer à la mise à distance de notre formation, notamment par une nouvelle façon de concevoir les tâches, celles des étudiants, celles irremplaçables des enseignants et celles qui peuvent être dévolues à la machine.
Troisième chantier dans lequel je suis impliquée actuellement, il s’agit du réseau Resafad, Réseau Africain de Formation à Distance où l’on cherche à éviter, avec le transfert des technologies, celui des idéologie et à concevoir une formation à distance qui permette aux collègues africains formés de réaliser, sur place, avec les moyens disponibles, les supports et les services nécessaires à leurs actions pédagogiques, au lieu de leur livrer « clef en mains » des modules voire des services tout prêts.
De toutes ces expériences, je tire au moins une assurance : la formation à distance, c’est ce qui rend essentiel le présenciel : quand des consignes ont été données, que des supports ont été bien conçus, quand tout a été organisé en termes de système, que les gens ont travaillé individuellement, en groupe, en sous-groupes, et que l’on se retrouve, étudiants ensemble et avec un enseignant, alors, la présence devient effectivement irremplaçable, c'est-à-dire qu'on peut alors jouer son véritable rôle, d'enseignant et d'éducateur.
Que retenir de cette rencontre ?
En un premier temps, on nous a rappelé, à juste titre, pourquoi, à l’heure actuelle, il est nécessaire de recourir à la formation à distance et à quelles conditions la formation à distance pouvait avoir une chance d'être opérationnelle. Le « pourquoi », on l'a vu à travers les trois expériences qui nous ont été présentées, historiquement parlant et même maintenant, « la vraie raison » pour laquelle on s'engage dans des dispositifs à distance, c'est pour combler un manque : il n'y a pas d’enseignants disponibles pour la langue qui doit être enseignée, (l'allemand dans certains lycées, M. Bonnet) ;il n'y a pas de dispositif d'accès facile à l'information pour un grand groupe de professionnels en situation de formation continue, disséminé (le Groupe des Banques Populaires, M. Hauswirth) ; il y a une diversité de publics qui nécessite une adaptation à chacun d’entre eux (l'expérience du Pays de Galles, M. Roberts).
La réponse à toutes ces situations, c’est la formation à distance. Un intervenant, a ajouté, ce qui me paraît être une dimension importante, la nécessité de prendre en compte, le projet personnel de formation. Monique Linard nous a rappelé que la question à laquelle on ne peut échapper, quelle que soit la modalité d’apprentissage, c’est qu'est-ce qu'apprendre ? Même si, effectivement, il faut se reposer la question « qu'est-ce qu'apprendre maintenant ? »,elle nous a notamment rappelé qu'il y a des types et des niveaux de connaissance extrêmement différents et qu'on ne devrait pas a priori en exclure : il y a des moments où il y a un premier type de savoirs ou de savoir-faire qui est à viser, un autre moment où il faut aller plus loin, jusqu'à une élaboration cognitive plus poussée. Il ne s'agit pas d'une hiérarchie définitive, il s'agit de différents besoins et contextes d’apprentissage. Et tous les dispositifs, technologiques ou non d’ailleurs, n’ont pas les mêmes vertus. Les hypermédias, d’après les expérimentations en cours, semblent plus propices à des apprentissages de type opérationnel qu’à l’appropriation de concepts.
En un deuxième temps, Jean-Louis Weissberg nous a ramenés à notre thème, en nous obligeant à un détour théorique par une réflexion sur un des aspects fondamentaux de la FAD, ce qui en fait une des spécificités, à savoir la simulation de la « présence à distance », mais qu’il nous a obligés à penser dans des situations autres que la situation de formation. Approche essentielle aussi parce qu'en sciences de l'éducation, comme dans beaucoup de disciplines, mais particulièrement dans ce secteur appelé « technologie de l'éducation », on souffre d’une certaine schizophrénie, c'est-à-dire que l’on a tendance à examiner les problèmes posés par l'introduction des technologies dans la situation éducative sans avoir pris le temps de se poser la question du statut de ces technologies, dans la société, en dehors de l'éducation et donc, on reste souvent prisonnier d'un modèle antérieur. Sans revenir sur l'ensemble de l'intervention de Jean-Louis Weissberg, je voudrais reprendre l'un ou l'autre point avant d’entrevoir les conséquences sur l'enseignement à distance.
Contrairement à ce qu'on a beaucoup dit et écrit, ces « vraies » nouvelles technologies ne renforcent pas l'abstraction, mais elles s'incarnent de plus en plus : il a rappelé le rôle de la main dans l'écriture, de la voix avec le téléphone qui est une incarnation supplémentaire, puis l'image noir et blanc, puis l'image couleur, puis le geste avec les retours d'effort, puis même ces dispositifs qui permettent d'ajouter les odeurs… cela nous oblige à penser la spécificité de ces technologies. On peut parler aussi de « coefficient de présence ». Dans l'enseignement, notamment, on est très prisonnier de cette expérience de présence réduite à la présence « physique » et donc à cette idée que dès qu'il n'y a plus de présence physique, il n'y a plus de communication authentique. C’est avancer que de reconnaître déjà que la présence physique est « une » des dimensions de la présence et qu'il y a tout un éventail de présences qui vont de l'absence totale à la co-présence. On pourrait même ajouter, pour en revenir à ce qui a été discuté dans certains groupes, sur ce que veut dire « la présence face à face », car on peut être présent en face à face et complètement absent, on le sait tous. Lorsque l’on parle de ces dispositifs technologiques et de la « distance » qu’ils introduisent et qui inquiète, on compare souvent, implicitement, une situation idéale où, en face à face, il y a une réelle inter-communication et, de l'autre côté, une situation via une technologie, disons qui est la moins réussie qui soit.
Enfin, on doit sans doute cesser de penser cette dichotomie « présence/absence » et essayer de penser, de travailler les modifications que peuvent entraîner, dans nos phénomènes perceptifs, l'intrusion de ces technologies qui nous obligent ou qui nous permettent d'imaginer une présence, le « bénéfice d'une présence ». En un premier temps, on essaie d'imiter au plus près la réalité et on est toujours déçu - comme en témoigne le visiophone : l'intérêt du téléphone, c'est qu'on peut parler sans être vu et sans voir. Devant certains clones, certains avatars, on est aussi déçu parce que c’est « loin de la réalité » comme on dit ! Nos relations à l'espace et au temps s’en trouvent changées et, en conséquence, nos façons de voir, et sans doute de savoir…
Dans les ateliers, différents autres points ont été abordés :
Celui de l'anonymat lié à internet qui est une des dimensions spécifiques de ces technologies qui aurait pu être développée au cours de cette rencontre.
Celui de la relation au temps, notamment à propos de la vidéoconférence, qui met dans une situation où le conférencier doit gérer des temporalités extrêmement différentes : celle de la personne en studio, « en spectacle » d’une certaine façon, où il y a un groupe dit témoin, des groupes dispersés dans différents espaces ayant chacun leur temporalité. Il y a ceux qui sont loin là-bas, qui attendent le moment précis de poser leurs questions, qui vont avoir à formuler leur question... Troisième temporalité, celle des éventuels problèmes techniques qui vont interférer et introduire encore un autre temps. Enfin, il y a la temporalité qui est la durée de la vidéoconférence : une heure, une demi-heure pendant laquelle tout le monde est « branché » comme on dit, ce qui entraîne une réelle pression extérieure. Tout ceci n'a rien à voir avec la posture habituelle ni de l’enseignant devant son groupe ni de moi, spectateur devant ma télévision. La situation imposée de part et d’autre oblige à gérer les choses complètement différemment sinon, si la situation du dialogue classique est reproduite, le résultat n’est pas concluant..
Le problème, voire la « tarte à la crème » de l’autonomie ! Pratiquement, tous les services de formation à distance se déclarent au service de l'autonomie alors qu’en fait, ils présupposent l'autonomie. Mais qu'est-ce que ça veut dire être autonome ? Autonomos : « qui se régit par ses propres lois », si je me souviens bien de l'étymologie, qu'est-ce ça veut dire qu'être autonome dans l'apprentissage ? Comment peut-on aider quelqu'un à devenir autonome ? On ne se déclare pas autonome et on ne le décrète pas.
Ce n'est pas avec les nouvelles technologies qu'on a découvert la « pédagogie interactive », en revanche certaines situations propres aux TIC peuvent nous faire admettre que l’on apprend autrement ! Les « jeux vidéo » sont un bon exemple : je suis comme tout éducateur, je préférerais qu'ils soient plus intéressants, moins violents…mais si on analyse très précisément tout ce qui doit être fait par l'utilisateur d'un jeu vidéo, on s'aperçoit que cela demande des démarches complexes ; « la mise en scène de l'interactivité » dans les jeux vidéo démontre qu'il y a des apprentissages qui se font, par des phénomènes dits d'induction ou d'abduction dont un chercheur (une chercheuse d’ailleurs) a pu démontrer, expérimentalement qu’ils pouvaient servir à l'initiation scientifique.
Je dirai, pour terminer, qu’il me semble qu’un retournement de perspective serait nécessaire, un retournement de 360 degrés pour dépasser cette notion d’enseignement à distance conçu comme un pis-aller ou comme un substitut : on s’apercevrait alors, qu’avec le développement de ces TIC, cette dichotomie « présence/absence » n’est plus pertinente et qu’il s’agit moins de suppléer à l’absence (des étudiants entre eux et des étudiants et de l’enseignant) ou de « supprimer l’absence » - comme avait pu le souhaiter les contemporains d’Edison et de son « téléphote » (moins connu que son phonographe !) mais plutôt de travailler aux divers moyens de « véhiculer les signes de la présence », selon l’expression de Jean-Louis Weissberg. Posture positive, infiniment plus stimulante que celle qui nous ramène sans cesse à cette mauvaise conscience implicitement nostalgique !
Est-ce si nouveau ? Après tout, le concepteur du document audiovisuel était absent physiquement, puisque c'était un document audiovisuel qu'il donnait à voir, mais il avait fait des choix de réalisation, des hypothèses sur la posture de l'apprenant « idéal ». Et avec qui se bat le formateur qui choisit un film ou une émission et qui l'utilise dans sa classe avec un autre objectif que celui pour lequel il a été fait ? Autant de situations qui « nous » ont progressivement - enseignants comme étudiants, conduits à prendre de la distance, par rapport au savoir et à sa médiation.
Si les sémiologues nous ont appris à travailler sur ce qu'ils appelaient l'« impression de réalité », il me semble que l’on peut travailler maintenant sur « le sentiment de présence », perçu différemment selon les personnes. Il y a, certes, des différences individuelles mais il y a aussi des facteurs, des indicateurs, des indices, des marqueurs qui peuvent renforcer « le sentiment de présence » - des recherches relativement récentes ont été menées sur ce point à propos des jeux vidéo.
Je terminerai par une phrase que j'aime bien, parce que j'ai entendu à deux ou trois reprises, tout de même, en circulant ça et là, les mots « client » ou « consommateur » : « l'élève n'est pas un client car on n'a pas à lui donner que ce qu'il demande ». Ces technologies peuvent nous entraîner là où on ne voudrait pas aller, … à cause des investissements financiers, des partenariats qu’elles exigent, par rapport auxquels il faut être assez vigilant : pour ne pas retomber dans les modèles managériaux, car la formation avec ou sans technologie, est un processus lent, riche, difficile, qui ne ressemble en rien à une consommation, sauf à se perdre.
Pour citer cet article : Jacquinot-Delaunay Geneviève (2001). "Le sentiment de présence". Actes des Deuxièmes Rencontres Réseaux Humains / Réseaux Technologiques. Poitiers, 24 juin 2000. "Documents, Actes et Rapports pour l'Education", CNDP, p. 183-191.
En ligne : http://edel.univ-poitiers.fr/rhrt/document773.php (consulté le 1/10/2019)
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