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Par Jean-François Cerisier
Publié en ligne le 31 août 2006
La vulgarisation de l'usage des réseaux de communication modernes nous place devant un curieux paradoxe. Jamais, dans les dernières décennies, le discours social sur les compétences langagières des jeunes n’a été aussi pessimiste, qu’il s’agisse d’activités de compréhension ou de production. On constate pourtant, dans le même temps et pour le même public, une augmentation considérable des pratiques de communication écrite. L'usage de la messagerie électronique internet, des chats, des forums et, peut-être plus encore, celui des mini-messages téléphoniques de type SMS a multiplié les occasions de productions textuelles. Ainsi, les Français métropolitains ont-ils échangé environ sept milliards de messages courts au cours de l’année 20021, messages dont la plupart ont été émis et reçus par des jeunes. Quelle étrange situation qui verrait ces pratiques verbales écrites se développer sans que les compétences associées ne s’accroissent !
Plusieurs enquêtes confirment pourtant de façon indéniable la grande diversité des compétences langagières manifestées par les jeunes. Pour une frange d’entre eux, celles-ci sont jugées très faibles, moins pour les faibles résultats scolaires qu’elles traduisent que pour les difficultés qu’elles engendrent dans les relations sociales. L’étude PISA2 conduite par 32 pays de l’OCDE3, publiée en décembre 2001, évaluait les compétences des jeunes de 15 ans dans le domaine de la compréhension de l’écrit, c’est–à-dire des compétences mobilisées par un individu pour comprendre, utiliser et analyser des textes écrits en fonction de ses propres objectifs. Dix pour cent des jeunes des 32 pays concernés par l’étude montrent des performances particulièrement développées dans ces domaines, étant en mesure de comprendre et produire des textes complexes4 alors que six pour cent de la même population rencontrent de très sérieuses difficultés dans le même domaine. Des travaux conduits par la Direction de la programmation et du développement du ministère de l’Éducation nationale indiquent même une certaine régression des performances mesurées en fin de collège dans la maîtrise de la langue, au cours des dernières années5.Télévision, internet et téléphonie mobile sont alors souvent invoqués comme autant de responsables de cet appauvrissement des compétences linguistiques.
S'il apparaît bien imprudent d'attribuer exclusivement les carences langagières relevées à l'usage des nouveaux moyens de communication, on ne peut pas ignorer le double rôle joué par ces outils. D'une part, ils agissent comme autant de révélateurs des compétences et pratiques langagières. Les approximations, les maladresses, les erreurs, qu'elles soient lexicales, syntaxiques, grammaticales ou stylistiques apparaissent plus évidentes que jamais. Qui n'a pas reçu de messages électroniques témoignant de ces difficultés ? Il a d'ailleurs été montré que l'on aurait tort d'imputer ces erreurs aux seuls élèves et étudiants au motif qu'ils ne maîtriseraient plus la langue française. Les "adultes" en général et les enseignants en particulier en commettraient également. D'autre part, la nature même des artefacts utilisés impose de nouvelles contraintes qui contribuent à transformer la production verbale. Les formats courts imposés par les mini-messages propres à la téléphonie mobile (160 caractères) sont, par exemple, propices à l'invention de divers types de raccourcis. Un nouveau lexique se construit qui use de divers procédés, se situant délibérément à l'écart de la norme orthographique, comme les syllabogrammes (A+ pour à plus tard), les squelettes consonantiques (tjrs pour toujours) ou les étirements graphiques qui contribuent à rendre compte des intentions communicatives (noooooooooooooooooonnn !!!!!!!!!!!!!!!).
Par ailleurs, on assiste à l'émergence d'une nouvelle rhétorique. Certains diront que l'on ne " s'embarrasse " plus des formules de politesse désuètes qui nuisaient à l'établissement d'un schéma de communication équilibré entre émetteurs et destinataires. Si ces codes ont manifestement changé, ils perdurent sous des formes nouvelles, qu'il est plus que jamais nécessaire de maîtriser. Les imaginer abolis conduit inéluctablement à s'exposer à des erreurs de registres qui seront autant d'indicateurs d'un positionnement culturel et social.
Le traitement de ces dimensions culturelles et sociales devrait être constitutif d'une éducation qui intègre les TIC. Plus qu'une simple formation technique, elle réclame des enseignants une réelle acculturation complétée d'une réflexion critique. La question posée à tous ceux qui se préoccupent d'éducation n'est donc pas seulement celle de l'identification des modifications des pratiques langagières induites par la médiatisation de la communication, c'est aussi, et peut-être surtout, celle concernant les conséquences de ces évolutions sur les démarches d'enseignement et d'apprentissage. Ce questionnement sera nécessairement pluridisciplinaire et ne pourra pas davantage faire l’économie d’une approche historique de l’usage des médias que d’une étude linguistique des productions discursives liées à ces nouveaux environnements de communication ou d’une analyse sociologique de l’appropriation de ces outils. C’est à ce prix que l’analyse des enjeux éducatifs relatifs au développement de l’usage des TIC pourra sortir de cette logique binaire qui lie sans nuances les compétences des élèves à leurs pratiques des médias, de façon positive pour les uns et négative pour les autres. C’est à ce parcours de réflexion qui joue la stratégie du détour pour mieux appréhender l’essentiel de la problématique que cet ensemble de contributions vous invite.
Pour citer cet article : Cerisier Jean-François (2003). "Usages des technologies de la communication et maîtrise de la langue : l’œuf et la poule". Actes des Quatrièmes Rencontres Réseaux Humains / Réseaux Technologiques. Poitiers, 31 mai et 1er juin 2002. "Documents, Actes et Rapports pour l'Education", CNDP, p. 11-13.
En ligne : http://edel.univ-poitiers.fr/rhrt/document533.php (consulté le 1/10/2019)
Notes
Documents associés
A télécharger ou à consulter en ligne :
Intervention de Jean-François Cerisier [ site web ]
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n° 4
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Jean-François Cerisier
Enseignant chercheur en sciences de l’information et de la communication, Université de Poitiers.
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