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L’étudiant connecté de demain - Le changement et l’université

Deuxième partie - Des usages

Par Yann Boivin

Publié en ligne le 1 septembre 2006

Résumé : Les TIC (Technologies de l’Information et de la Communication) constituent de puissants leviers de changement. Deux approches sont envisagées ici. L’approche pro-active : changer pour atteindre certains objectifs (offrir de nouvelles modalités d’apprentissage, augmenter les services en ligne, accueillir des publics diversifiés) et l’approche adaptative : changer pour répondre à de nouvelles réalités, et prendre en compte l’évolution des publics (Génération Y, formation tout au long de la vie et en tout lieu) et celle des technologies.

Cette présentation est avant tout un exercice de prospective sur l’université de demain. L’intérêt d’un tel exercice est bien sûr la possibilité qu’il offre de se préparer à ce que l’avenir nous réserve. Les changements que suppose cette préparation sont déclinés ici selon deux perspectives : ceux qui font suite à la volonté de l’institution d’enseignement d’atteindre de nouveaux objectifs et ceux que de nouveaux facteurs externes la poussent à effectuer. Les Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) jouent et joueront un rôle important puisqu’elles constituent des leviers puissants pour le changement ou encore amènent elles-mêmes le changement. C’est sous l’angle des TIC que nous aborderons la question de l’université de demain. Et l’étudiant connecté dans tout ça ? Celui-ci est au cœur du changement abordé ici, soit comme destinataire, soit comme catalyseur.

Dans la perspective pro-active (changer pour atteindre certains objectifs), il se dégage trois cibles où les TIC sont directement concernées. La première est l’amélioration de la pédagogie à l’aide des TICE (TIC pour l’Enseignement). La seconde est de délivrer de meilleurs services aux étudiants, par exemple en leur permettant de s’inscrire en ligne, ou en mettant à leur disposition un portfolio numérique. La troisième touche à la promotion de l’université dans un milieu de plus en plus concurrentiel, que ce soit aux niveaux national, européen ou international.

Pourquoi une université voudrait-elle aujourd’hui changer ? Pour que ses étudiants apprennent encore mieux. Pour leur offrir de meilleurs services. Ou déjà pour qu’ils la choisissent.

Deux voies permettant aux étudiants de mieux apprendre grâce aux technologies sont identifiables. D’un côté, améliorer la pédagogie d’aujourd’hui – pour ne pas dire la pédagogie d’hier – et de l’autre, utiliser de nouvelles pratiques pédagogiques.

La façon dont les technologies peuvent renforcer la pédagogie traditionnelle trouve son illustration dans la façon dont la formation ouverte et à distance est aujourd’hui souvent effectuée. Les outils technologiques y sont utilisés pour reproduire ce qui est fait en classe. Ainsi, on mise sur des produits multimédias pour faire comprendre un concept aux étudiants et sur les forums de discussion pour répondre à leurs questions. Dans le même ordre d’idées, des outils ajoutés en complément aux cours traditionnels en classe peuvent être d’une bonne efficacité. Par exemple, la présence d’un site Web qui accompagne le cours et qui contient des documents numériques à consulter avant le cours ou encore des questionnaires à correction automatique qui permettent aux étudiants d’évaluer rapidement leur niveau de compréhension de la matière.

L’autre voie est l’adoption de nouvelles pratiques pédagogiques, comme l’apprentissage par problème ou l’apprentissage collaboratif. Le but souvent recherché dans ces nouveaux types de pédagogie est de rendre l’étudiant le plus actif possible dans son apprentissage. Nous disposons aujourd’hui déjà d’une multitude d’outils de communication ou de travail collaboratif qui pourraient être utilisés dans ce but. Pourtant, l’effort considérable que demandent ces nouvelles pédagogies aux enseignants pour repenser et re-développer leurs cours constitue un frein important quand vient le choix d’adoption d’une stratégie pédagogique. De plus, les nouvelles pratiques étant justement « nouvelles », elles n’ont pas encore fait leurs preuves de façon évidente. Il reste à souhaiter que la recherche aide à répondre plus clairement à ces questions. Si le sujet vous intéresse, je ne peux que vous suggérer le site Tématice1, programme de recherche interdisciplinaire sur les TIC pour l’Education et la Formation.

Quels que soient les choix pédagogiques que l’on fait, l’article m’ayant paru le plus intéressant sur le sujet est « Implementing the Seven Principles: Technologies as Lever2 » de Arthur W. Chikering et Stephen C. Ehrmann3. Les auteurs nous présentent sept caractéristiques que devrait avoir la pratique de l’enseignement pour être efficace. Les technologies y jouent un rôle de levier puisqu’elles permettent d’appliquer plus facilement ces bonnes pratiques, qui :

  • encouragent le contact enseignant-apprenant ;

  • encouragent la coopération entre apprenants ;

  • encouragent l’apprentissage actif ;

  • sont réactives, offrent un retour rapide ;

  • insistent sur l'organisation du temps passé à la tâche ;

  • communiquent des attentes de qualité élevée ;

  • respectent la diversité des talents et des manières d’apprendre.

On trouve, sur le site où est présenté l’article, une bibliothèque d’idées d’utilisation des technologies pour pratiquer un enseignement dans cet esprit4.

Les technologies offrent de nombreuses possibilités pour les universités d’offrir de meilleurs services aux étudiants. L’intérêt accordé aux Espaces Numériques de Travail (ENT)5 par les institutions d’enseignement et par les ministères de l’Éducation nationale et de la Recherche depuis 2002 en est un bon exemple. Ces ENT contribuent à la multiplication des services en ligne pour les étudiants. Aux plates-formes pédagogiques, en place depuis quelques années déjà, viennent s’ajouter bureaux virtuels, espaces d’entreposage de documents personnels, inscription en ligne, messagerie Web, etc.

Les efforts portent aussi sur l’amélioration des infrastructures technologiques des universités ainsi que sur l’élargissement des plages horaires des services offerts (par exemple, l’accès à des salles informatiques). Les étudiants sont maintenant en contact avec leur université les week-ends à travers Internet et les pannes sont de moins en moins acceptées. Les étudiants sont de mieux en mieux équipés – souvent d’ordinateurs portatifs – et demandent à pouvoir se connecter à Internet à partir de leur propre matériel. Ainsi, de plus en plus de campus universitaires s’équipent en réseaux sans fil Wi-Fi et le jour où tous les étudiants d’un cours pourront utiliser leur ordinateur portable connecté à Internet en classe n’est peut-être pas si loin.

Je profite de cette tribune pour porter à votre attention un nouveau service encore peu développé en France mais porteur de promesses : le portfolio numérique. La description de Patrick Chevalier, de l’association Eifel, dans son texte d’introduction d’une présentation sur les ePortfolios donne une bonne idée de ce concept.

« Traditionnellement, le portfolio contient les données personnelles sur les acquis d'une personne : description des compétences et connaissances, certificats et diplômes, preuves sous la forme de travaux réalisés ou de témoignages. Depuis 1991, beaucoup plus qu'un prolongement électronique, les technologies apportent au portfolio plusieurs dimensions nouvelles :
La possibilité de multiplier les documents, de les traiter, de les présenter. Cela étend les contenus et les sources ;
La possibilité d'alimenter automatiquement les archives de la personne à partir des évènements : certification, témoignages, etc ;
La capacité à diffuser plusieurs versions de ces informations vers des cibles variées à travers un site web personnel adossé à un puissant portail d'organisation. »6

Une autre définition permet de voir plus directement les bénéfices pour les étudiants. Elle est tirée du site ERADC (ePortfolio Research And Development Community).

« Un portfolio numérique est un système de gestion de l'information en ligne qui utilise des médias et des services numériques. L'apprenant construit et maintient un dépôt numérique d'artéfacts utilisés pour mettre en évidence ses compétences et l’aider à réfléchir sur son apprentissage. Ayant accès à leur dossier, leur dépôt numérique, aux réactions des visiteurs et à leurs propres réflexions, les étudiants peuvent développer une meilleure compréhension de leur développement personnel, de leur planification de carrière et de la construction de leur CV. L'accréditation des expériences antérieures ou parascolaires, le sentiment de contrôler la façon dont ils sont représentés et la possibilité de choisir ce qu’ils présentent fait du portfolio numérique un outil puissant. »7

Ainsi, si les portfolios numériques peuvent être utilisés comme des curriculums vitæ particulièrement complets et malléables, on peut aussi les voir comme des outils pédagogiques (par exemple, en situant leurs travaux les uns par rapport aux autres, les étudiants peuvent faire des liens entre leurs différents cours) ; des outils d’accompagnement du cheminement de l’étudiant et de gestion des compétences ; ou encore comme des outils de mobilité (le ePortfolio pourra servir de support aux suppléments aux diplômes prévus par la réforme LMD et contenant la description des compétences acquises pour chaque cours suivi, ainsi que de support de présentation des diplômes obtenus, certifié par un organisme tiers – ce qui pourra faciliter la gestion des dossiers d’inscription).

Les bénéficiaires de ces nouveaux service seront les étudiants, les diplômés, les enseignants, les personnels (car ils peuvent grandement faciliter la présentation des acquis pour la VAE8) ou la direction de l’université, puisque le portfolio numérique peut devenir un intéressant outil d’information sur l’établissement, en présentant les compétences de ses membres.

Une littérature de plus en plus étoffée se développe sur le thème des portfolios numériques. Voici quelques liens intéressants :

La concurrence entre les universités est de plus en plus présente, que ce soit aux niveaux national, européen ou international. La façon dont les établissements intégreront les TIC et les TICE pourra constituer un critère important dans le choix d’une université par un étudiant. L’étudiant connecté de demain choisira l’établissement où il aura droit à un meilleur enseignement et à des services nombreux et améliorés tenant compte de ses nouveaux besoins, de son individualité et qui aura par le fait même une certaine renommée. Certains nouveaux publics se développent rapidement et ceux-ci sont encore plus sensibles à l’offre des universités. On n’a qu’à penser aux étudiants de la formation continue qui, s’ils choisissent la version plus classique d’enseignement en face à face, sont par leur maturité habitués à un niveau de services plus élevé. Ce même public de la formation continue est aussi souvent le premier visé par la formation ouverte et à distance qui lui offre une souplesse extraordinaire. La formation tout au long de la vie est un objectif important pour le gouvernement français9 et on a toutes les raisons de croire que cette clientèle grandira et sera une grande demandeuse de services numériques.

Le site Educause10 propose aux étudiants et futurs étudiants un guide leur permettant d’évaluer l’offre de services numériques et technologiques d’une université afin de les aider à effectuer leur choix. Voici quelques exemples de questions suggérées11 :

  • Quel pourcentage des cours utilise l’information électronique pour améliorer le cours (par exemple, programme du cours, liste de lectures, groupes de discussion, démonstrations) ?

  • Quelles ressources documentaires sont disponibles en ligne (catalogue, bases de données, collections spéciales) ?

  • Un étudiant peut-il accéder à ses informations personnelles en ligne ?

  • Quel est le ratio d’ordinateurs accessibles en libre-service par étudiant ?

  • Si j’amène mon propre ordinateur à l’université, quel type d’assistance puis-je espérer de l’établissement ?

  • L’établissement a-t-il un plan de renouvellement des équipements, et si oui, quel en est le cycle ?

  • Pouvez-vous trouver un ordinateur à 2 heures du matin si vous en avez besoin d'un ?

  • Est-il facile d'accéder à Internet dans l'université ?

  • Y a-t-il des connexions sans fil à l'université ?

  • Quelles sont les formations TIC disponibles ?

  • Comment est géré le partage légal de fichiers et le téléchargement de musique et de vidéo ?

L’exercice qui consiste à répondre à ces questions (et aux autres du questionnaire) peut être pertinent pour toutes les universités qui veulent placer l’étudiant au centre de leur stratégie.

Dans la perspective adaptative (changer pour répondre à de nouvelles réalités), deux voies principales se dégagent : l’évolution des publics et les « nouvelles » technologies. L’avènement des réseaux technologiques, et particulièrement d’Internet, risque de transformer nos habitudes peut-être plus profondément que toute innovation précédente puisque ces réseaux changent le rapport à l’information et à la communication. Une réalité dont il faut tenir compte est le changement important du public de formation initiale. Les jeunes qui arriveront à l’université d’ici quelques années et qui font partie de ce qui est appelé la « Génération Y » ont leurs particularités propres et une façon de penser très différente de leurs prédécesseurs. Les méthodes traditionnelles d’enseignement sont-elles vraiment optimales pour leur faire acquérir les compétences dont ils auront besoin ? L’étudiant connecté de demain ne sera pas qu’un jeune adepte d’Internet. Il prendra probablement aussi le visage du travailleur caractérisé souvent par sa mobilité. Ces travailleurs mobiles, qui devront se former tout au long de la vie, frapperont aussi à notre porte. Il s’agit là d’un public ayant des besoins particuliers et où les TIC et les TICE peuvent jouer un rôle très intéressant, notamment pour prendre en compte le fait qu’ils doivent pouvoir travailler et apprendre malgré leurs déplacements. Enfin, le changement peut être amené par les nouvelles technologies qui permettent parfois de faire aujourd’hui ce qu’il était impossible de faire hier.

L’habitude, probablement très nord-américaine, de distinguer et définir les générations permet de mettre un nom sur la prochaine génération qui s’assoira sur les bancs des universités. Après les vétérans (nés avant 1945), les boomers (1945-1960) et la génération X (1960-1982), voici la génération Y, celle des jeunes nés après 198212. Cette génération est aussi identifiée sous les noms de Yers, milleniums ou encore de la génération Net. Aux États-Unis principalement, plusieurs personnes cherchent à découvrir qui sont ces jeunes qui présentent une grande différence avec les générations précédentes. Si plusieurs penseurs s’y intéressent, les professionnels du marketing ne sont pas en reste. La différence entre deux générations n’a peut-être jamais été aussi grande concernant la façon de voir le monde et d’apprendre.

Les adolescents d’aujourd’hui sont baignés dans la culture Internet puisqu’ils font partie de la première génération ayant grandi entourée des médias digitaux. Plusieurs articles principalement états-uniens traitent du sujet. En résumé, voici les principales caractéristiques qu’ils décrivent :

  • Ils sont indépendants. Leurs deux parents travaillent à l’extérieur. Ils voudraient contrôler ce qu’ils apprennent et comment ils l’apprennent.

  • Les technologies font partie intégrante de leur vie. C’est le chemin qu’ils empruntent naturellement pour aller chercher l’information. Ils n’ont plus le réflexe de se référer à l’encyclopédie ; ils vont sur Internet.

  • Ils sont impatients et attendent une rétroaction immédiate, comme le monde d’aujourd’hui les a habitués à en avoir.

  • Ils sont multi-tâches. Ils sont habitués à avoir plusieurs activités en même temps. Même s’ils n’ont aucune difficulté à se concentrer, ils ont l’habitude de travailler sur leur ordinateur avec plusieurs fenêtres ouvertes simultanément. Ils ne manifestent pas un manque d’intérêt comme le croient parfois leurs professeurs, mais ils fonctionnent différemment car ils réagissent face à un monde surinformé.

  • Ils considèrent l’apprentissage comme un processus continu.

  • Ils sont efficaces, car ils s’adaptent facilement, et tolérants, car ils sont ouverts sur les autres cultures.

Fait intéressant, il semble que la génération Y soit la génération qui travaille le plus fort depuis les vétérans. C’est une génération positive et qui s’entend bien avec ses parents.

Don Sapscott, dans « The Net Generation and the School »13 nous les décrit en faisant apparaître les différences fondamentales qui les caractérisent :

 « Pour la première fois, les enfants prennent le contrôle des éléments critiques d’une révolution des communications. »

« La télé est contrôlée par les adultes. Les enfants sont des observateurs passifs. Au contraire, les enfants contrôlent la plus grande partie de leur monde sur le Net. Il s’agit de quelque chose qu’ils font eux-mêmes. Ils ne sont pas que témoins ; ils sont des utilisateurs et ils sont actifs. Ils ne font pas qu’observer; ils participent. Ils s’informent, discutent, argumentent, magasinent, critiquent, enquêtent, ridiculisent, fabulent, cherchent et informent. »

« Ils apprennent à propos des relations avec les autres, du travail en équipe, à être critiques, à avoir du plaisir en ligne, sur l’amitié au-delà des frontières, à défendre ce qu’ils pensent, et à comment communiquer efficacement leurs idées. »

Plus près de nous, un rapport14 du CREDOC publié en novembre 2003 nous apprenait qu’en France :

  • 93 % des 12-17 ans en France peuvent être considérés comme familiarisés avec la micro-informatique.

  • 87 % pourraient être considérés comme des internautes.

  • 30 % des plus de 18 ans sont connectés à Internet à la maison alors que le pourcentage monte à 40 % pour les foyers avec des adolescents.

  • parmi ceux qui n’en disposent pas, 21 % prévoient se connecter dans les 12 prochains mois.

Si l’on tient compte que depuis plusieurs mois déjà, les fournisseurs d’accès Internet français pratiquent des prix de plus en plus bas pour l’accès haut-débit illimité, il est fort à parier que ces statistiques augmenteront encore dans les prochains temps.

Une enquête du CREDOC de juin 200315 nous apprend, elle, que si le pourcentage d’étudiants utilisant un ordinateur dans le cadre de leur formation est de 54 % dans la tranche d’âge 20-21 ans, il est de 83 % pour les élèves de 14-15 ans. La même enquête montre aussi que si 42 % des 18 ans pensent qu’Internet est un bon outil pour suivre des formations, le pourcentage monte à 63 % pour les 12-17 ans.

Toujours pour illustrer les nouvelles pratiques des adolescents, je vous conseille l’enquête sur les adolescents québécois « NetAdos 2004 : Portrait des 12-17 ans sur Internet »16 du CEFRIO. La France s’est souvent crue à la traîne d’autres pays au niveau de l’utilisation des technologies, mais elle avance très vite. Une question se pose (ou s’impose) alors : les méthodes traditionnelles d’enseignements sont-elles vraiment optimales pour faire acquérir à la prochaine génération les compétences dont elle aura besoin ?

Avec la volonté affichée des gouvernements de promouvoir la formation tout au long de la vie17, la formation continue devrait prendre de l’essor. La mobilité devrait aussi caractériser de plus en plus cette population de travailleurs en demande de formation. Une partie importante des apprenants seront donc des travailleurs en situation de mobilité.

Comment tient-on compte des besoins spécifiques de ces travailleurs ? L’apprentissage s’arrête-t-il quand ils ne sont pas là ? De quels outils disposons-nous pour le faire ?

La mobilité peut dans un premier temps amener les établissements à redéfinir leur relation avec l’étudiant aux niveaux administratif et social. L’idée est ici de lui offrir des services quand il en a besoin, là où il est. L’offre étendue de services numériques par Internet initiée par les ENT est le premier pas vers la satisfaction des besoins de ce type de public.

La relation pédagogique peut aussi être modifiée en fonction de la mobilité des apprenants et c’est d’ailleurs tout l’enjeu de l’apprentissage en situation de mobilité (m-Learning). Le m-Learning est défini par Clive SHEPERD dans son article « M is for Maybe »18, « c’est du e-Learning pour ceux qui ont appris la leçon qu’il est difficile d’atteindre une cible mobile ». Sheperd poursuit : « (…) comme une large part de notre force de travail n’est pas assise à un bureau, mais est debout, marche et se déplace, nous voyons le potentiel de se détacher du câble Ethernet. »

Il cite aussi Donald Clark, PDG du groupe Epic qui perçoit comme une caractéristique intéressante à exploiter le fait que les adeptes de la mobilité sont de grands utilisateurs de 'non-place'.

« Les non-places sont sur les voies aériennes, ferrées ou autoroutières, incluant les aéroports, stations de train, les aires de repos sur l’autoroute et les hôtels et refuges, ces endroits où l’on peut se retirer avec soi-même et trouver l’isolement et la solitude. À une époque où le temps doit être géré, ces endroits donnent l’opportunité de réfléchir et d’apprendre. » « Les non-places ont certaines caractéristiques qui les rendent propices à l’apprentissage. Vous êtes seul. Il n’y a rien qui puisse vous distraire. Vous n’êtes pas interrompu. Vous ne vivez pas sous le joug des rendez-vous. Tout cela crée de bonnes conditions pour l’apprentissage. Mais il y a un aspect supplémentaire qui fait que la non-place est encore meilleure pour cela qu’une bibliothèque : vous ne pouvez vous échapper. Vous ne pouvez sauter de l’avion, du train ou de l’automobile. »

Quand le m-Learning est-il pertinent ? Pour Sheperd, c’est d’abord dans les phases de préparation ou de suivi des cours. On peut facilement imaginer les travailleurs utilisant effectivement les non-places pour se préparer à leurs cours. Et son intérêt ne se limite pas à transmettre l’information aux étudiants puisqu’il ne faut pas oublier les possibilités d’interaction que permettent les outils de la mobilité. Des activités d’apprentissage plus concrètes peuvent ainsi être conçues, tels les questionnaires ou les notes à prendre sur le vif. Le m-Learning peut aussi être particulièrement intéressant sur le terrain. L’accès simplifié à certaines sources de référence précises peut être utile en cas de confrontation à un problème, particulièrement dans les univers plus techniques. De plus, les fonctions de communication de nombreux outils de la mobilité peuvent permettre d’obtenir rapidement de l’aide des condisciples ou du tuteur.

Parmi ces outils, on retrouve le téléphone portable, les assistants personnels (PDA, Palm), les ordinateurs portatifs, les tablettes PC, etc. Bien sûr, plus l’outil accompagne couramment l’utilisateur, plus il est pratique pour le m-Learning. À ce propos, Kris COHEN et Nina WAKEFORD montrent la relation que nous entretenons avec les outils de la mobilité dans leur article « La construction de la mobilité, la construction du Soi » 19. Voici les résultats-clés qu’ils ont trouvés :

  • « Les gens se voient comme des projets qui peuvent être réalisés ou améliorés de manière consciente. » Les gens se choisissent ainsi des outils qui vont les représenter. Par exemple, quelqu’un achètera un petit appareil photo numérique qu’il gardera toujours avec lui ; il deviendra donc un peu plus photographe à ses propres yeux. Voulant devenir photographe, il se transforme par l’outil qu’il possède.

  • « Les technologies de la mobilité peuvent être utilisées pour s’améliorer soi-même. » Dans les discussions sur l’utilisation de ces technologies pendant leur recherche, les auteurs indiquent que la discussion glissait de la description des utilisations à la description des propres défauts de la personne interrogée. Les gens voient en ces technologies des moyens de pallier leurs défauts.

  • « Les gens ont un ensemble élémentaire de choses qu’ils veulent toujours avoir avec eux. » Il s’agit du plus petit assortiment d’objets dont quelqu’un pense avoir besoin lors d’une journée type. Cet ensemble est bien sûr différent pour chacun. Les auteurs l’ont baptisé « la sphère des objets personnels ».

  • « En plus de cet ensemble élémentaire, les gens ont des assemblages étendus d’objets. » On peut voir ces assemblages étendus comme des canevas de mobilité. Ces canevas sont des arrangements pré-conçus de choses que les gens utilisent pour devenir mobiles. Les gens rassemblent des objets en ensembles qui les aident à faire ce qu’ils veulent faire dans différents contextes.

  • « Les changements faits aux canevas de mobilité sont des changements faits au Soi ; et les changements faits sur soi-même entraînent souvent des changements dans les canevas de mobilité. » C’est pourquoi un changement d’apparence anodin, comme offrir un téléavertisseur à un employé, peut provoquer des réactions étonnamment négatives.

  • « La mobilité, comme une caractéristique des technologies de la mobilité, est créée sous la pression de différentes forces qui ne sont pas toutes sous le contrôle de quelqu’un, et dont plusieurs sont en conflit. » Ces forces sont par exemple : les normes pour l’apparence physique ; la relation désirée entre le travail et la vie privée ; le sentiment de sécurité ; les revenus ; etc.

Ainsi, le choix des instruments que nous transportons chaque jour n’est pas anodin. Nous aurions des objets personnels qui ne nous quittent jamais (faisant partie de la sphère des objets personnels), et d’autres qui forment entre eux des assemblages d’outils de mobilité et qui dépendent de la situation dans laquelle nous nous attendons à nous trouver. Ma propre sphère d’outils personnels est composée de mon portefeuille, mon passeport, mes clés et mon téléphone portable. Ce sont les objets qui ne me quittent jamais. Mon assemblage le plus fréquent est composé de mon agenda électronique, d’un peu de lecture, d’un minuscule magnétophone ainsi que d’une clé USB. Enfin, pour des cas plus spécifiques, un autre assemblage comprend un ordinateur portatif (mais le moins souvent possible, parce que c’est lourd).

Plus l’outil requis pour le m-Learning fait partie d’un assemblage souvent utilisé – ou même de la sphère d’objets personnels – plus il est pratique et peut facilement être utilisé dans les non-places. Le téléphone portable, par exemple, pourrait probablement gagner à être plus utilisé dans l’enseignement puisqu’un pourcentage très important d’étudiants en possèdent et l’ont toujours avec eux.

Les assistants personnels (Palm ou PDA) sont des outils très pratiques et des plus appropriés pour l’enseignement en situation de mobilité. Voici quelques exemples de logiciels qui s’installent sur des assistants personnels et qui peuvent être utilisés pour l’enseignement :

Enfin, de l’information sur le m-Learning est disponible sur le site de la Fondation Internet Nouvelle Génération (FING) à http://www.fing.org/index.php?num=3154,3,1110,7

Les nouvelles technologies arrivent-elles encore à vous surprendre autant que moi ? Qu’inventerons-nous encore ! Si elles sont de plus en plus omniprésentes, les technologies ont aussi tendance à disparaître de notre vue. Il suffit de penser aux réseaux sans fil (WiFi), aux ordinateurs vestimentaires (wearable computers) ou à la domotique. Nous pouvons imaginer l’étudiant connecté (mais sans câble) de demain habillé de technologies et se faisant rappeler par son réfrigérateur d’acheter des œufs (exemple désormais classique), mais aussi de s’inscrire pour la session universitaire d’hiver. D’autres domaines des technologies se développent parallèlement et auront sûrement un impact sur l’université et l’enseignement. Pour suivre ces avancements, je vous conseille encore une fois le site de la FING (http://www.fing.org/ ).

Le changement peut ainsi être amené par les nouvelles technologies qui permettent parfois de faire aujourd’hui ce qu’il était impossible de faire hier. Il s’agit donc de rester à l’affût des innovations en évitant le piège de la nouveauté pour la nouveauté et questionner très sérieusement l’apport qu’elles peuvent avoir pour la pédagogie.

En regardant encore plus loin, du côté de l’intelligence artificielle et du double virtuel, nous pouvons imaginer que les technologies nous remplaceront pour certaines tâches, comme la recherche de références pertinentes pour un travail à rendre. Ainsi, l’étudiant connecté de demain disposera-t-il peut-être d’un peu plus de temps à consacrer à l’étude ou, pourquoi pas, pour aller faire une promenade.

Pour citer cet article :  Boivin Yann (2005). "L’étudiant connecté de demain - Le changement et l’université".  Actes des 5 et 6èmes Rencontres Réseaux Humains / Réseaux Technologiques.  Poitiers et La Rochelle,  16 et 17 mai 2003 – 25 et 25 juin 2004.  "Documents, Actes et Rapports pour l'Education", CNDP, p. 83-92.

En ligne : http://edel.univ-poitiers.fr/rhrt/document663.php

Notes

2 En français : « Utiliser les sept principes [de bonnes pratiques d’enseignement] : les technologies comme levier »
3 CHICKERING, Arthur W. et EHRMANN, Stephen C., IMPLEMENTING THE SEVEN PRINCIPLES: Technology as Lever, AAHE Bulletin, octobre 1996, pp.  3-6.
http://www.tltgroup.org/programs/seven.html
5 Les ENT peuvent être décrits comme des intranets offrant un accès unifié et individualisé aux étudiants et employés de l’université à tous les services numériques à leur disposition.
6 CHEVALIER, Patrick, « Le Portfolio numérique », séminaire AMUE « Mettre les TIC au service du LMD », 30 mars 2004.
7 http://www.eradc.org/description.php  [traduction Yann Boivin]
8 Validation des Acquis de l’Expérience. Voir http://www.travail.gouv.fr/dossiers/vae/
10 Educause est une association dont la mission est le développement de l’enseignement supérieur par la promotion d’une utilisation intelligente des technologies de l’information. Educause compte parmi ses membres environ 1 900 institutions d’enseignement supérieur, 180 entreprises et plus de 13 000 membres individuels, principalement aux Etats-Unis.
11 Le guide en anglais : http://www.educause.edu/Studentguide/
12 J’aurais tendance à voir en France la génération Y comme étant celle née après 1990.
15 CREDOC, enquête « Conditions de vie et Aspirations des Français », juin 2003. (Cité dans le rapport de novembre 2003 du CREDOC).
17 Voir aussi la conférence des ministres européens de l’enseignement supérieur à Prague les 18 et 19 mai 2001.

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n° 5-6

  • Yann Boivin

    Coordonnateur, Centre d’ingénierie pédagogique, Université Paris-Dauphine.

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