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Par Cécile Cau

Publié en ligne le 29 août 2006

Yassir YEBBA, président de l'association Le métier à tisser le monde :
Notre idée c'est de mettre notre tribu sur le net, une tribu complètement virtuelle, une tribu qui n'a pas de terre traditionnelle, elle s'appelle la tribu des gens du milieu en berbère. Le but de cette tribu, c'est de fonctionner comme une vraie tribu. Quand on aura démonté toutes les tribus dans ces pays-là, il en restera d'autres ailleurs. Créer une tribu virtuelle, c'est quelque chose de très fort pour nous parce que ça permet d'étendre le champ de la militance pour les peuples autochtones. Et puis la deuxième chose qu'on a essayé de mettre en place, c'est comme je voyage beaucoup (je pars à peu près une fois par mois au Maroc), on va mettre en place un bus qu'on va aménager, un grand bus pour dix personnes à peu près. On va proposer de partir avec des gens, des voyageurs. Un bus tout équipé, c'est-à-dire notamment avec des moyens de communication via internet, le mobile et tout ça. C'est très bien que ça avance, parce que, nous, ce qui nous intéresse, c'est que ces voyages au lieu qu'ils soient virtuels, on fait vraiment le vrai voyage et tous les soirs on rend compte du voyage et, quand on est en place au Maroc, on peut non seulement raconter, parler de ce qu'on fait, du travail au quotidien mais entretenir un lien avec les communautés marocaines à l'étranger et les communautés marocaines sur place.
J'ai fait le test avec une webcam et un ordinateur et quand je suis devant ma grand mère et qu'à l'autre bout, à Toulouse, c'est ma mère qui voit sa mère, finalement ça produit quelque chose d'extraordinaire. C'est que en matière d'intégration, ma mère se sent moins loin avec internet. Les grosses mamas, on a cru que ces femmes-là elles n'étaient bonnes qu'à repartir au Maroc, aujourd'hui elles se sentent à l'aise parce qu'il y a internet. Ça, c'est une expérience qu'on mène avec une vingtaine de familles et on trouve que le lien social que cela a pu entretenir et la stabilité et l'intégration sociale que cela a permis en France, c'est extraordinaire. Ça a permis de rapprocher vraiment les gens et quand avec cet ordinateur et ce portable au Maroc ça a marché, on s'est dit pourquoi ne pas avoir un bus qui puisse visiter notre région d'origine et de faire des tournées d'une semaine/quinze jours et, nous, on vient prendre le courrier, mais, bien sûr, c'est un courrier électronique. Quand je voyage, je visite beaucoup de villages et de contrées un petit peu éloignées qui n'ont pas forcément le Net, je ramène aux gens beaucoup de nouvelles et je me suis dit pourquoi ne pas faire cela on line, c'est-à-dire avoir un bus.
J'ai travaillé dans l'insertion socio-professionnelle. En Charente, il y a une association qui a développé, à l'aide d'un bus, l'information itinérante pour rapprocher l'administration des administrés. Nous, on s'est dit : pourquoi ne pas rendre ce service ? Au lieu d'installer l'électricité (je suis très dubitatif là-dessus : là où arrive l'électricité, arrivent les autoroutes qui vont faire circuler le libéralisme, on ne fait que broyer plus les gens…), il faut d'abord leur donner les moyens de recevoir cette modernité et internet peut en être un. Une fois par mois, venir prendre le courrier électronique à destination des familles vivant à l'étranger, je trouve ça intéressant. C'est un excellent moyen de rester intégré. Pour les jeunes, c'est un besoin qu'on a. Cela rassure les parents.

Cécile CAU :
Est-ce que ce n'est pas aussi pallier à un manque d'information, tout simplement? Sinon, vous vous seriez écrits plus souvent, vous auriez envoyé des photos ?

Yassir YEBBA :
Chez nous, même si on a une écriture depuis plusieurs millénaires, on est de tradition orale. Les écritures qui ont subsisté chez nous, ce sont celles des envahisseurs depuis trois mille ans. Pour nous, la vraie démocratie a toujours existé, elle ne vient pas d'Athènes. Athènes, c'est une forme de démocratie qu'on essaie de nous inculquer encore aujourd'hui, deux mille ans après. C'est extrêmement pénible de vivre dans une démocratie qui se raconte des mensonges constamment. Quand on raconte au chef de village qu'un président peut être élu avec 40% des voix, il dit que ce n'est pas vraiment un président. Chez nous, si tout le monde n'a pas participé, ce n'est pas ça. Pour nous, en tant que berbères de tradition, si on n'a pas suscité l'intérêt de tous ce n'est pas la peine. Ce que je trouve intéressant entre le tribalisme que je défends par le biais d'une association et internet, c'est que chez nous, dans ces tribus, l'individu prime la société. Pour nous, la société est là pour permettre l'épanouissement des gens. Dès lors qu'elle met des freins, ce n'est plus une société, ça devient un contenant et là les gens ne peuvent plus s'épanouir. Ce que j'aime bien dans internet, c'est le retour de la tribu au sens euphorique du terme où l'individu prime la société.

Philippe BLASI, maître de conférences en sciences physiques, Université de Poitiers :
Dans son intervention, Cécile Cau disait qu'il y avait une certaine façon de se poser la question de savoir s'il fallait mettre des règles sur internet, lorsqu'on publie sur internet. Il y a une nouvelle façon de communiquer, une nouvelle liberté et les gens ont peur de la liberté. On met à la disposition de tout le monde la possibilité de diffuser à n'importe quel moment ce qu'on veut et, là, tout de suite les gens font halte-là, ça ne va pas. Bien sûr, il y a des abus, mais tout de suite on veut réglementer, contrôler. Quelque chose de nouveau est apparu qui permet une nouvelle communication et tout de suite on veut retomber dans des chemins classiques et on va avoir le contrôle des éditeurs, des contenus. Bien sûr, quand on se balade sur internet il y a un problème d'esprit critique par rapport à ce qu'on trouve dessus. A l'université, j'enseigne aux étudiants à aller chercher de l'information et je leur dis de garder un esprit critique par rapport à ce qu'ils vont trouver. Qui a publié cela ? On ne le sait pas forcément. Mais, par contre, ça permet de trouver beaucoup plus d'informations que dans n'importe quelle bibliothèque. C'est pour ça que les gens qui veulent mettre des limites à cette expression, des réglementations, ils veulent revenir dans un cadre sûr avec des règles qu'ils connaissent.

Jean-Pierre ROUDEIX, professeur d'anglais, Collège Jean Moulin, Poitiers :
La réglementation, si j'ai bien compris, c'est essentiellement un phénomène européen. Parce que derrière internet il y a les Etats-Unis et, eux, ils ne se posent absolument pas ce problème-là. Certaines fois, la confusion libertaire/libéral, ce n'est pas évident. Tout est en vrac sur internet et à chacun de faire le tri, quitte à ce qu'il y ait des choses épouvantables.

Cécile CAU :
C'est vrai qu'il y a beaucoup de personnes qui pensent que toutes ces informations, c'est une chance, par exemple dans la cas de l'éducation à distance. Dans le cas de la diffusion de l'information, on ne sait pas toujours quels sont les auteurs. Dans le cas de Télérama, il y a un journal qui est derrière, il y a une rédaction, il y a quand même une crédibilité que vous soyez d'accord ou pas avec ce qui est dit. Sans parler d'objectivité, il y a une sûreté de l'information.

Philippe BLASI :
Il y a une structure qui garantit, qui est censée garantir avec une ligne éditoriale. Le rôle de l'éditeur c'est de vérifier si l'information, si le contenu est valable. Ce n'est pas toujours le cas. L'éditeur constitue un filtre, cela va permettre de garantir un peu plus si l'information est valable. Ce filtre va faire qu'il y a peut-être des informations qui sont valables qui ne passeront pas. Si une information n'intéresse pas grand monde, si elle n'est pas rentable économiquement, vous n'allez pas la mettre dans votre journal. A ce niveau-là, c'est la force d'internet. Quand vous parlez du site grossefatigue, vous dites que c'est quelque part une valorisation personnelle. Je ne pense pas du tout ça. Dans ce cas-là, peut-être, mais ce que j'aurais tendance à dire c'est que sur les sites, en général, ce qu'on trouve, c'est des gens qui veulent faire partager à d'autres ce qu'ils aiment. Ils n'ont rien à en retirer, ils veulent faire partager ce qu'ils aiment. Je connais des gens qui ont fait des sites sur les jeux de cartes, le marais qui est juste à côté de chez eux avec des photos, une webcam, l'astronomie…On trouve beaucoup de sites comme ça qui ne sont pas des sites de clubs ou d'associations mais des sites de gens qui souhaitent faire partager ce qu'ils aiment. Dans ces cas-là il y a un peu de narcissisme.

Cécile CAU :
A chaque fois, il y a un rapport à soi !

M. X :
Ça, c'est le côté positif. Il y a dix jours, j'ai reçu quinze messages pour m'expliquer qu'il y avait une petite fille qui cherchait du sang B- dans un hôpital. Ça va très très vite. Ce n'était pas vrai. J'ai appelé un ami qui travaille à l'Institut Pasteur qui m'a dit : ce n'est pas vrai, il n'y a aucune opération du foie prévue pour une petite fille dans les quinze jours à Necker. On a été nombreux à recevoir ce message. C'est le phénomène de la rumeur.

Philippe BLASI :
La rumeur, on la voit souvent passer sur internet. J'ai vu souvent passer des informations qui me faisaient froid dans le dos mais je ne les ai pas relayées. Est-ce que c'était vrai ou pas, comme je ne connaissais pas la source, je n'ai pas publié.

Cécile CAU :
Justement, c'est peut-être en cela que la réglementation serait nécessaire, plus que pour réduire la liberté de chacun.

Yassir YEBBA :
Par rapport aux règles, j'ai l'impression que dans les pays du Nord en général, on essaie de mettre des règles là où on a failli sur l'éducation. Mieux on éduquera les gens et plus ils feront les règles eux-mêmes. Ce qui vient d'être dit est un exemple : quelqu'un reçoit des informations, il n'en connaît pas la source, il ne publie pas. Il a une conscience, il n'a pas besoin de règle pour faire ou ne pas faire. Plus on va s'assujettir à une centrale qui va nous donner des lois, plus on va se dédouaner et demain on va se retrouver une foule d'anonymes à avoir cautionné des bêtises immenses. Il est urgent d'éduquer les enfants sur la notion de liberté. Chez nous la liberté va de pair avec la responsabilité. Pour pouvoir rester libre, il faut toujours être responsable. Ce qui fait tenir debout l'individu, c'est la notion de responsabilité qu'il a vis à vis du groupe. Dans l'Education Nationale, on dit aux parents : internet, c'est bien, demain vos enfants pourront continuer à travailler avec internet, ils pourront gagner des sous, monter des start up et tout ça, mais pas un moment on ne dit aux parents : vos enfants, à travers internet, on va les éduquer à une citoyenneté globale.

Cécile CAU :
Mais est-ce que les gens peuvent penser qu'internet peut participer à cette éducation ?

Yassir YEBBA :
Je pense que quelle que soit la société, la personne n'a pas assez conscience qu'elle existe. internet nous interroge par rapport à cette société d'où on émerge. internet, ça peut être délicat pour nous si on ne fait pas attention à ce que nous sommes pour pouvoir rester debout. J'ai l'impression que ça nous interroge beaucoup plus que ça nous apporte de réponses. Dans certains cas, internet, certains sites, c'est presque de la schizophrénie : les gens sont "passés de l'autre côté". Par exemple, j'ai un camarade qui, certaines fois, parle comme il parle sur le web et puis il s'arrête. Alors je ne comprends pas : est-ce qu'il m'a envoyé un mél ou quoi ? A un moment donné, il y a une difficulté à communiquer dans la vraie relation. C'est là où internet doit rester un outil, un moyen de développement, mais en rien cela ne doit nous économiser vis à vis de nous-même, tous les jours avec nos frères et sœurs, nos cousins, etc. . On n'a pas le droit de se soustraire à cette réalité-là. Cette réalité prime ce que peut nous apporter internet.

Laurence PAPIN, formatrice, Société Edu 4 :
On parle de règles pour l'utilisation d'internet. En Loire Atlantique, il y a des collèges qui ont été équipés d'une salle avec internet et France Télécom a fourni un boîtier qui permet de sélectionner les sites. Si vous souhaitez avoir accès à un site qui n'est pas prévu par la sélection, il faut apporter une justification. Si la justification est correcte, vous pourrez avoir accès. Ce n'est pas une restriction limitative.

Philippe BLASI :
C'est le principe des filtres parents/enfants qui sont installés maintenant par certains prestataires de services.

Pierre BONNET :
On ne met pas Playboy au CDI ! On a le droit de se dire aussi qu'il serait encore plus intéressant d'obtenir le même résultat par l'éducation. Alors, comment faire ? Une piste ou deux, peut-être, avec un principe qu'on peut peut-être arriver à faire passer chez les utilisateurs, enfants, adolescents, c'est que l'anonymat sur internet a quand même quelque chose d'illusoire, c'est-à-dire que une mesure assez simple à prendre dans un établissement scolaire, c'est de placer les machines dans des salles vitrées, que chaque utilisateur sache que ce qui est sur son écran, il n'est pas le seul à le voir ; qu'il sache aussi, c'est tout simple, que quand il utilise internet pour consulter tel ou tel site, ça laisse une trace sur la machine. N'importe qui peut savoir qui, à quelle heure, a consulté tel site. C'est peut-être le genre de choses qu'il suffit de dire. Le principe de pouvoir déclencher cette réaction d'autocontrôle est plus intéressant que de placer une machine.

Pierre CALADINE, maître de conférences en informatique, Université de Poitiers :
Je suis assez sceptique par rapport à internet et au lien social. Vous avez évoqué pas mal de choses mais si je résumais : à un pôle il y a grossefatigue et si je résumais "à la hache" grossefatique c'est quoi ? C'est un monsieur qui crée un journal intime, qui n'a aucune chance de le voir jamais publié par un éditeur, même si beaucoup d'éditeurs publient des livres qui ne sont que de très mauvais journaux intimes, alors il le met sur internet, comme ça il a une petite satisfaction narcissique, la satisfaction narcissique d'être lu. Est-ce que ça un intérêt par rapport au lien social tel que je vais l'évoquer ? Je n'en suis pas sûr. A l'autre extrémité, il y a les sites des grandes associations, des grandes causes qu'elles soient ponctuelles ou permanentes. Lorsqu'Amnesty International, par exemple, que ce soit sur son site national ou sur des sites locaux, publie les rapports qu'heureusement il publie et que les journaux ne publient pas souvent d'ailleurs, tout le monde mesure bien que c'est une œuvre de salubrité publique par rapport à la démocratie, par rapport aux droits de l'homme, par rapport à tout ce que vous savez, d'autant que quelqu'un qui consulte le site d'Amnesty va peut-être être sérieusement ébranlé par ce qu'il lit et va faire la démarche qui consiste à rejoindre un groupe ou au moins adhérer à l'association et au minimum lui verser de l'argent.
Si je reviens à la question du lien social, il me semble qu'une société pluraliste et démocratique comme la nôtre, comme la France, ne fonctionne que parce qu'il y a une multitude de cercles, d'associations, de groupements de nature très diverse, culturelle, politique, syndicale, philosophique, religieuse, sportive et d'autres, qui fonctionnent de façon entrecroisée au sens que ils ne sont pas toujours complètement indépendants : il y a des personnes qui appartiennent simultanément aux uns et aux autres et qui produisent au fil des années, au fil de leur fonctionnement ce que j'appellerai à la fois de l'activité, des utopies petites ou grandes par rapport à ce que peut être le sens de l'existence, au moins de manière collective, et que l'ensemble de toutes ces associations diverses, par une espèce de processus d'élaboration, de partage, de discussion, permet donc l'émergence d'une opinion commune qui varie en fonction de fluctuations que chacun connaît, permet aussi l'émergence de leaders petits, moyens et grands voire très grands qui sont des gens qui ont bien compris que la liberté, c'est aussi la responsabilité et qui tout d'un coup font le choix de prendre des responsabilités, de les assumer et sont en quelque sorte les porte-parole de la petite utopie, de la petite opinion de l'association à laquelle ils sont. C'est tout ça qui permet que, à tel moment, l'opinion va s'orienter sur tel ou tel problème, dans un sens ou dans un autre, et puis va à tel moment élire M. X plutôt que M. Y président de la République, Mme unetelle plutôt qu'une autre, député ou maire, etc.
Tout ceci ne peut se passer que parce que, à mon avis, il y a rencontre. Quand je dis rencontre, je dis rencontre physique, c'est-à-dire que c'est, au cours de tous ces rites, de toutes ces fêtes, de toutes ces réunions multiples, diverses, de ces associations, qu'on a confronté ses opinions, élu ou suggéré les leaders, qu'on est arrivé à se forger soi-même une opinion, etc. même si il y a beaucoup de citoyens qui n'appartiennent à aucune opinion, mais d'une certaine façon les citoyens lambda sont toujours sous l'influence de quelqu'un qui, lui, appartient à une association.

Cécile CAU :
Internet dans tout ça ?

Pierre CALADINE :
J'y viens. Ce que je veux dire, c'est que je ne vois pas comment internet peut être autre chose que peut-être une amorce, un amont de ce fonctionnement social et je ne vois pas comment il pourrait se substituer parce qu'il ne permet pas cette rencontre physique, il ne permet pas cet aspect entrecroisé, ces contacts personnels, tous ces aspects rituels de fête, etc. qui sont extrêmement importants.

Cécile CAU :
Justement, est-ce qu'internet n'est pas en train d'initier quelque chose qui va au-delà de la rencontre physique ? Il y a beaucoup de personnes qui ont du mal à être en société, à jouer de leur physique entre guillemets pour aller l'un vers l'autre.

Jean-Pierre ROUDEIX :
Ce que vous évoquez des associations, cet entrecroisement, cela a des années et des années. Pour internet, il faut peut-être laisser venir !

Philippe BLASI :
Le virtuel n'est pas déconnecté du réel. Pour ce qui est des associations, des contacts, ça peut passer assez rapidement du virtuel au réel dans la mesure où il y a une proximité géographique. Si la personne avec laquelle on est en contact est en Australie, forcément, cela va poser quelques difficultés pour se rencontrer assez rapidement. Il y a quelques années, un forum français sur la moto, au début, c'était un forum comme les autres qui parlait de moto et ça s'est vite transformé en groupe de vie, en groupe de discussion sur tout et n'importe quoi de gens qui ont une passion en commun, la moto. Et très vite, ces gens-là qui n'arrêtent pas de discuter toute la journée, il y a des centaines de messages qui passent, ils ont fini par vouloir se retrouver. Les gens se sont regroupés par ville avec des réunions dans les villes.

Jean-Pierre ROUDEIX :
Moi, j'appartiens à différentes associations, groupes qui se rencontrent, qui discutent sur internet et, au bout d'un moment, ce que je constate, c'est que les gens ont envie de se voir.

Pierre CALADINE :
Ça veut dire qui si c'est effectivement l'amont ou l'amorce, c'est très bien. Mais croire que ça peut être autre chose que l'amont ou l'amorce, je ne le crois pas

Jean-Pierre ROUDEIX :
Quand on partage une passion commune, au bout d'un moment, on a envie de lâcher le clavier et d'en parler vraiment.

Philippe BLASI :
On ne peut faire cette rencontre que si on est proche géographiquement parlant. Dans la mesure où il s'agit d'un groupe francophone qui est en France, on arrive à se voir. Dans la mesure où il s'agit d'une relation qui se développe sur le monde entier, là, ça reste purement virtuel. On peut rencontrer ponctuellement quelqu'un si on est en voyage mais il n'y aura jamais de regroupement physique ou alors ce sera un regroupement structuré. Par contre, ce type de relations internationales et mondiales, il n'y a que le réseau qui le permet vraiment. Ça restera purement virtuel car les gens ne pourront pas se réunir réellement de manière régulière. Dans ce cas-là, cela reste virtuel mais on peut très bien faire des choses dans le virtuel.

Pierre BONNET :
Ce serait intéressant dans dix ans de relancer une étude qui a déjà été faite. On sait, en effet, à peu près faire la relation entre les courants de pensée dominants dans une région et le mode d'habitat. Dans une région comme la nôtre, on distingue bien les secteurs conservateurs traditionnellement et les secteurs progressistes, en reliant cela à l'habitat dispersé d'un côté, à l'habitat regroupé de l'autre. Ce serait intéressant dans dix ans de voir si tout cela est bousculé.

Philippe BLASI :
Tout ceci dépend de la pénétration du réseau. Avoir internet, c'est une chose, s'en servir, c'en est une autre.

Pierre BONNET :
C'est pour cela que je dis dans dix ans, parce qu'on n'en est pas encore tout à fait au stade où ça modifie de façon évidente les modes de communication en cours.

Philippe BLASI :
Il y a une idée dont on n'a pas parlé : en supposant que tout le monde sur terre ou en France ait les moyens de se connecter à internet, les moyens financiers, technologiques, et que chacun connaisse suffisamment l'ordinateur, quel pourcentage de gens serait réellement intéressé par ce mode de communication ? 50%, 20%, 80% ? Il y a des gens qui ne sont pas intéressés par l'aspect virtuel, ils veulent avoir quelqu'un en face : on peut leur donner tout le matériel, ils ne l'utiliseront pas.

Yassir YEBBA :
Ça dépend. Par exemple, dans le cas de ce bus dont j'ai parlé, nous, on est parti d'un principe de base qui est que nous sommes attachés au tribalisme, aux microcommunautés qui ensuite se relient (nous pouvons avoir une communauté de plusieurs millions de personnes) et au nomadisme. On s'est dit, je parle vraiment du cas berbère, on s'est dit : il y a des communautés qui sont nomades et d'autres qui bougent un peu moins. Mon but en tant que porteur de projet c'est de chambouler le moins possible mais au contraire de conforter le choix que nos ancêtres ont pu faire. Moi, je suis fondamentalement nomade : quand j'arrive dans un petit village, c'est comme la caravane et d'ailleurs on a monté un événement itinérant qui s'appelle la caravane dont le but, à son arrivée, est d'être un lieu de rassemblement comme un grand souk. On arrive et là, on ne parle pas du web, on dit wed avec un d, c'est plus simple. C'est toujours l'idée de mouvement : tu jettes quelque chose dans le webd ça arrivera à Toulouse demain ou ce soir et c'est ça qui est important. On respecte.
Moi, je ne peux pas me déplacer : la France m'embête, je ne peux pas avoir de visa, je reste là-bas. Par contre, quelqu'un qui va et qui vient, c'est comme les caravanes avant. Au départ, quand j'avais commencé à travailler sur ces notions de tribalisme et de nomadisme, j'avais fait une étude sur les routes des caravanes et je me suis rendu compte que, finalement, notre région d'Afrique du Nord et le Maroc en particulier a commencé à dépérir dès lors qu'on a changé la géographie des mouvements commerciaux. Quand la France est arrivée, ce n'est pas que la France mais à chaque fois l'occupant, il voulait que tout aille au port pour que ça parte ailleurs. Finalement, les routes commerciales qui venaient de Tombouctou, qui montaient jusqu'à Cordoue, Séville et pourquoi pas jusqu'à Poitiers…comme on a perturbé ça, aujourd'hui on dit aux Marocains : on va vous expliquer comment vous développer. Eh bien non. Vous développer, c'est quels ont été les éléments du florissement de votre culture et de vos échanges à un moment donné. Vous aviez vos propres routes et chaque territoire a ses routes et ses chemins et ses cheminements et ses modes opératoires. Dès lors qu'on veut appliquer autre chose, il n'y a qu'à voir en France les lois de décentralisation, de déconcentration, on commence à parler de pays, de terroir, de langue régionale. En France, on a beaucoup avancé là-dessus, et on va aller jusqu'à la remise en cause de la charte européenne des langues minoritaires et des pays comme le Maroc à qui la France toute puissante avait "refilé" sa constitution avec l'article premier qui exclue les langues minoritaires, il se trouve que la langue minoritaire au Maroc, c'est le berbère et le berbère c'est la langue des trois quarts des Marocains. Nous, ce qu'on essaie de faire au service du développement, c'est de savoir comment on peut réhabiliter la notion de tribu au sens de communauté de liens et de sens et comment là-dessus vient se greffer des modes de fonctionnement et un mode de développement. Jusque là on a plus subi les conseils et les représentations extérieures qu'on a eu les moyens.
Nous, on a créé des sites sur des noms de tribus. Ce qu'on aimerait bien, c'est que les jeunes issus de l'émigration qui sont à l'extérieur montent d'autres sites qui correspondent à leurs tribus au Maroc et que ces tribus vivent un peu virtuellement mais en réalité survivent, le temps que sur place on ait remis en place tout ça. L'écotourisme et tout ça, on n'a pas envie que ce soit des gens comme Frame qui vienne le faire parce que ça appauvrit encore plus les gens. Donc, à un moment donné, internet, il faut savoir si c'est un moyen. Si c'est un moyen, on peut l'utiliser. Certaines fois, cela peut devenir une fin en soi comme dans le cas de la caravane itinérante dont j'ai parlé.
L'idée de ce village.com dont a parlé Cécile Cau donne envie d'aller planter une tente berbère dans ce village et de leur proposer de venir au Maroc. Ce serait amusant de venir dans leur jeu, dans leur représentation, pour leur en proposer une autre, sans les violenter parce qu'en réalité les deux doivent pouvoir coexister dès lors qu'elles se justifient : les gens ne peuvent pas se déplacer, ils ne se déplacent pas. Les grands-parents, les sages ils ont le droit de ne pas bouger s'ils n'ont pas envie. Il faut aller au devant des questions qu'internet nous pose sur notre propre vie jusqu'à maintenant.

Pierre BONNET :
Vous avez une adresse de site à nous laisser pour voyager un peu chez vous ?

Yassir YEBBA :
Il y en a plusieurs ! Vous avez amazigh.net (homme libre en berbère). Dans les moteurs de recherche, vous cherchez berbère et vous trouverez pas mal de sites comme ça. Ce qui est important : lorsqu'on a commencé à lancer tout ça, ce n'est pas avec une idée partisane. A un moment donné, on s'est dit l'avenir c'est quelque chose qui doit se digérer et si on doit le digérer : qui sommes-nous ? Sur quoi nous fondons-nous ? Moi, je ne suis pas un être virtuel. On a beau vivre entre deux pays, on n'a pas, entre guillemets, les fesses entre deux chaises, on a voulu que cela soit sur quelque chose de plus fluide. Le métier à tisser le monde qui est le nom de notre association, cela veut dire qu'on est au même niveau où que l'on soit. Etre moins étranger là où l'on est. Lorsque je suis au Maroc, je n'ai pas envie d'être étranger, lorsque je suis en France, je n'ai pas envie de l'être non plus. Pour cela internet peut aider.

Cécile CAU :
Il s'agit d'un espoir planétaire !

Pour citer cet article :  Cau Cécile (2001). "Débat".  Actes des Deuxièmes Rencontres Réseaux Humains / Réseaux Technologiques.  Poitiers,  24 juin 2000.  "Documents, Actes et Rapports pour l'Education", CNDP, p. 159-173.

En ligne : http://edel.univ-poitiers.fr/rhrt/document876.php

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